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Thérèse de Lisieux

Page daide sur lhomonymie Pour les articles homonymes, voir Sainte Thérèse et Martin.
Thérèse de Lisieux
Image illustrative de larticle Thérèse de Lisieux
Sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face en 1895
Sainte, Docteur de lÉglise
Naissance le 2 janvier 1873
Alençon, Orne, France
Décès le 30 septembre 1897  (à 24 ans)
Lisieux, Calvados, France
Nationalité France Française
Vénéré à Basilique de Lisieux
Béatification le 29 avril 1923 Rome
par Pie XI
Canonisation le 17 mai 1925 Rome
par Pie XI
Docteur de lEglise 19 octobre 1997
par Jean-Paul II
Vénéré par lÉglise catholique romaine
Fête 1er octobre
Attributs Porte un habit de Carmélite, et porte dans ses mains une croix entourée de roses.
Saint patron des Missions, de la France

Marie-Françoise Thérèse Martin, en religion sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face, également connue sous les appellations sainte Thérèse de Lisieux, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ou encore la petite Thérèse, était une religieuse carmélite française née à Alençon le 2 janvier 1873 et morte à Lisieux le 30 septembre 1897.

Le retentissement de ses publications posthumes, dont Histoire dune âme publiée peu de temps après sa mort, en fait lune des plus grandes saintes du XXe siècle. La dévotion à sainte Thérèse sest développée partout dans le monde.

Considérée par Pie XI comme l« étoile de son pontificat », elle est béatifiée puis canonisée dès 1925. Religieuse cloîtrée, elle est paradoxalement déclarée sainte patronne des missions et, avec Jeanne dArc canonisée en 1920, proclamée « Patronne Secondaire de la France ». Enfin, elle est proclamée Docteur de lÉglise par Jean-Paul II en 1997 pour le centenaire de sa mort.

Fille dun couple tenant commerce dhorlogerie et de dentelles dAlençon, Louis et Zélie Martin, Thérèse perd sa mère à lâge de quatre ans et demi. Elle est élevée par ses sœurs aînées Marie et Pauline, qui tour à tour entrent au carmel de Lisieux, faisant revivre à lenfant le sentiment dabandon ressenti lors de la perte de leur mère1.

Cependant, elle ressent très tôt un appel à la vie religieuse. Surmontant les obstacles, elle aussi entre au carmel de Lisieux à quinze ans.

Après neuf années de vie religieuse, dont les deux dernières passées dans une « nuit de la foi », elle meurt de la tuberculose le 30 septembre 1897 à lâge de vingt-quatre ans.

La nouveauté de sa spiritualité, appelée la théologie de la « petite voie2 », de lenfance spirituelle, a inspiré nombre de croyants. Elle propose de rechercher la sainteté, non pas dans les grandes actions, mais dans les actes du quotidien même les plus insignifiants, à condition de les accomplir pour lamour de Dieu. En la proclamant 33e docteur de lÉglise, le pape Jean-Paul II a reconnu ipso facto lexemplarité de sa vie et de ses écrits. Ici réside un des paradoxes de Thérèse de Lisieux : morte inconnue puisque cloîtrée, elle est aujourdhui « mondialement célèbre et vénérée3 ».

Édifiée en son honneur, la basilique de Lisieux est le deuxième plus grand lieu de pèlerinage de France après Lourdes.

Sommaire

Biographie

Enfance

Alençon

Louis Martin, père de Thérèse, un homme doux et fort
Zélie Martin, mère de Thérèse, déjà atteinte du mal qui lemportera
Article détaillé : Louis et Zélie Martin.

Le père de Thérèse, Louis Martin (Bordeaux, 1823 - Lisieux, 1894) exerce le métier dhorloger où il excelle. Sa mère, Zélie-Marie (Gandelain, 1831 - Alençon, 1877), est déjà connue, dans les années 1850, comme fabricante du point dAlençon. Elle aura bientôt une petite entreprise sise au 36 rue Saint-Blaise, et dont Louis deviendra ladministrateur en 1870. Elle emploiera jusquà une vingtaine douvrièresD 1.

Tous les deux, de très grande piété, font donc partie de la petite bourgeoisie aisée dAlençon, dautant que le mari a fait dexcellents placementsD 2. Louis aurait voulu devenir chanoine dans la congrégation des chanoines réguliers du Grand Saint-Bernard (Valais - Suisse), mais sa méconnaissance du latin l’en empêcheraD 3. Zélie-Marie avait voulu entrer au couvent, comme sa sœur aînée Marie-Louise, mais la supérieure la persuade de nen rien faireD 4. Aussi sétait-elle promis en secret, si elle se mariait, de donner si possible tous ses enfants à lÉglise, tout en se défendant de les influencer.

Louis et Zélie-Marie se rencontrent en 1858 sur le pont Saint-Léonard dAlençon et se marient le 13 juillet 1858 en léglise Notre-Dame, décidant cependant de vivre comme frère et sœur dans une continence perpétuelle. Leur confesseur les en ayant dissuadés, ils auront neuf enfants, mais quatre mourront en bas âge :

Les cinq autres enfants, toutes des filles, deviendront religieuses :

Marie-Françoise-Thérèse Martin naît rue Saint-Blaise à Alençon le 2 janvier 1873. Elle est baptisée dès le 4 janvier 1873 à léglise Notre-Dame dAlençon. Son parrain est Paul Boul, fils dun ami de la famille, et sa marraine sa sœur aînée Marie ; tous les deux sont âgés de treize ansD 6.

Thérèse de Lisieux à trois ans, en juillet 1876

En mars, âgée de deux mois, elle frôle la mort et doit être confiée à une nourrice, Rose Taillé, qui avait déjà nourri deux enfants du couple Martin. Elle se rétablit et elle grandit dans la campagne normande, dans cette ferme de Semallé, distante de 8 kilomètresD 7. À son retour à Alençon, le 2 avril 1874, sa famille lentoure daffection. Sa mère dira delle qu« elle est dune intelligence supérieure à Céline, mais bien moins douce, et surtout dun entêtement presque invincible. Quand elle dit non, rien ne peut la faire céder. »E 1 Espiègle et malicieuse, elle réjouit sa famille par sa joie de vivre. Mais elle est également émotive et pleure souventD 8.

Elle grandit alors dans cette famille de fervents catholiques qui assistent chaque matin à la messe de 5 h 30, respectent rigoureusement le jeûne et prient au rythme de lannée liturgique. Les Martin pratiquent également la charité et accueillent à loccasion un vagabond à leur table, visitent les malades et les vieillardsD 9. Même si elle nest pas la petite fille modèle que dépeindront plus tard ses sœurs, Thérèse est sensible à cette éducation. Ainsi, elle joue à la religieuse, cherche souvent à « faire plaisir à Jésus » et elle sinquiète de savoir sil est content delleD 10. Un jour, elle va jusquà souhaiter à sa mère de mourir ; grondée, elle explique que cest parce quelle lui souhaite le bonheur du ParadisE 2.

Dès 1865, Zélie Martin se plaint de douleur au sein7,B 1. Ce cancer se développera peu à peu. En décembre 1876, un médecin lui révèle la gravité de cette « tumeur fibreuse » : il est trop tard pour tenter une opérationD 11,8. Le 24 février 1877, Zélie perd sa sœur Marie-Louise, morte de la tuberculose au couvent de la Visitation du Mans, sous le nom de sœur Marie-Dosithée. Après ce décès, le mal empire et la malade souffre de plus en plus, même si elle le cache à sa familleD 11.

En juin 1877, Zélie part à Lourdes en pèlerinage dans lespoir dy être guérie, mais le miracle na pas lieuB 2. Elle meurt le 28 août 1877, après plusieurs jours dagonie. À quatre ans et demi, Thérèse vient de perdre sa mère. Elle en est profondément marquée. Plus tard, elle considérera que « la première partie de sa vie sest arrêtée ce jour-là »D 12. Elle choisit alors sa grande sœur Pauline comme mère adoptiveE 3.

Arrivée à Lisieux

La maison familiale des Buissonnets à Lisieux

En novembre 1877, Louis et ses cinq filles s’installent à Lisieux pour se rapprocher dIsidore Guérin, frère de Zélie, quun conseil de famille a désigné subrogé tuteur des enfantsD 13. Isidore Guérin et son épouse sont en effet persuadés que cest la solution la plus sage et ils sont parvenus à convaincre Louis, dabord réticent, de faire ce voyage. Pour accueillir la famille Martin, ils ont trouvé une maison bourgeoise entourée dun parc : les BuissonnetsD 14. Loncle Isidore, pharmacien à Lisieux, est alors actif politiquement : monarchiste convaincuB 3, il défend le pape Léon XIII et le développement du catholicisme socialB 4.

Louis, qui a vendu le commerce familial dAlençon et vit désormais de ses rentes, se consacre à ses filles et en particulier à Thérèse, quil appelle sa « petite Reine ». Il lemmène souvent en promenade aux alentours. Marie, âgée de dix-sept ans, prend en main le fonctionnement de la maison, avec laide dune bonne que lon a engagée. Pauline, seize ans, soccupe de léducation des deux petites, spécialement de ThérèseD 15.

Thérèse ressent profondément le changement datmosphère : à lanimation de la boutique dAlençon, toujours pleine de clientes et douvrières, succède le silence et la solitude de cette demeure retirée où lon reçoit peu. Sa mère lui manque dautant plus et elle écrira : « À partir de la mort de maman, mon heureux caractère changea complètement ; moi si vive, si expansive, je devins timide et douce, sensible à lexcès. » Malgré lamour que lui prodiguent son père et Pauline, sa « maman », la vie est austère aux Buissonnets et elle considérera plus tard quil sagit de « la seconde période de son existence, la plus douloureuse des trois »E 3.

Les dimanches et les fêtes mettent un peu de fantaisie dans la vie bien réglée de la fillette : on assiste à la messe à la cathédrale Saint-Pierre, où lon retrouve les Guérin, puis cest un joyeux repas chez eux. Thérèse passe parfois laprès-midi avec lune de ses sœurs, chez ses cousines Jeanne et Marie. Mais la belle journée passe trop vite à son goûtD 16.

À sept ans, en 1880, Thérèse se confesse pour la première fois. Elle ignore alors crainte et scrupules : « Depuis je retournais me confesser pour toutes les grandes fêtes et cétait une vraie fête pour moi chaque fois que jy allais. » Le 13 mai 1880, cest la première communion de Céline, dont elle partage la joie : « Je crois que jai reçu de grandes grâces ce jour-là et je le considère comme un des plus beaux de ma vie. » Elle a hâte de recevoir à son tour la communion et décide de profiter des trois années qui len séparent pour se préparer à lévénementD 17.

Un incident inquiétant survient au cours dun après-midi dété (en 1879 ou 1880)D 18. Elle aperçoit, dune fenêtre donnant sur le jardin, « un homme vêtu absolument comme Papa, ayant la même taille et la même démarche, seulement il était beaucoup plus courbé... Sa tête était couverte dune espèce de tablier de couleur indécise en sorte que je ne pus voir son visage. Il portait un chapeau semblable à ceux de Papa. Je le vis savancer dun pas régulier, longeant mon petit jardin... Aussitôt un sentiment de frayeur surnaturelle envahit mon âme. »E 4 Apeurée, elle appelle son père, absent ce jour-là. Ses sœurs tentent de la rassurer, on interroge la bonne, on fouille le jardin, mais en vain. Les sœurs Martin ne trouveront un sens à cette vision que quinze ans plus tard, avec la maladie de leur père, atteint de paralysie cérébraleE 5.

Scolarité chez les bénédictines

Le jardin des Buissonnets

À huit ans et demi, le 3 octobre 1881, Thérèse entre à son tour au pensionnat des bénédictines de Lisieux. Elle revient le soir chez elle, le pensionnat étant proche du domicile familial. Les leçons de Pauline et de Marie lui ont donné de bonnes bases et elle se retrouve en tête de classe.

Cependant, elle découvre la vie collective à laquelle elle nest pas préparée. Persécutée par des camarades plus âgées qui la jalousent, elle pleure et nose se plaindre. Elle naime pas lagitation bruyante des récréations. Son institutrice la décrit comme une élève obéissante, calme et paisible, parfois songeuse ou même triste. Thérèse affirmera plus tard que ces cinq années furent les plus tristes de sa vie, et quelle ne trouvait de réconfort que dans la présence de sa « Céline chérie »D 19.

Thérèse vit comme un soulagement le retour aux Buissonnets le soir après lécole : elle retrouve alors sa famille, son univers familier, sa joie de vivre. Les jeudis et les dimanches deviennent des jours importants. Avec sa cousine Marie Guérin, elle invente un nouveau jeu : vivre en solitaires au fond du jardin. Ce sont alors des temps de silence, doraisons, des rituels inventés auprès de petits autels installés à la buanderieD 19.

Elle aime également la lecture, qui répond à son besoin de calmeE 6. Passionnée par les récits chevaleresques, elle éprouve une grande admiration pour Jeanne dArc. Elle pense être, elle aussi, née pour la gloire, mais une gloire cachéeD 19 : le Bon Dieu « me fit comprendre que ma gloire à moi ne paraîtrait pas aux yeux des mortels, quelle consisterait à devenir une grande sainte !!!… »E 7.

Départ de Pauline au carmel

Au cours de lété 1882, Thérèse a neuf ans. Elle apprend fortuitement que sa sœur Pauline veut entrer au CarmelD 20,E 8. La perspective du départ de sa « seconde maman », la pousse au désespoirB 5 : « [...] layant appris par surprise, ce fut comme si un glaive sétait enfoncé dans mon cœur »E 8.

Pauline, cherchant à la consoler, décrit à sa sœur la vie dune carmélite. Thérèse se sent alors appelée elle aussi au carmel, elle écrira : « Je sentis que le Carmel était le désert où le Bon Dieu voulait que j’aille aussi me cacher… Je le sentis avec tant de force qu’il n’y eut pas le moindre doute dans mon cœur : ce n’était pas un rêve denfant qui se laisse entraîner, mais la certitude d’un appel Divin ; je voulais aller au Carmel, non pour Pauline, mais pour Jésus seul… »E 8

Un dimanche, à loccasion dune visite au carmel de Lisieux, elle parvient à parler seule à la supérieure, mère Marie de Gonzague. Celle-ci « croit à sa vocation », mais naccepte pas de postulante âgée de moins de seize ans. Thérèse attendra : elle sait désormais quelle a trouvé sa voieD 21.

Cest le lundi 2 octobre 1882 que Pauline entre au carmel de Lisieux, où elle prend le nom de « sœur Agnès de Jésus ». Journée dautant plus triste pour Thérèse, quelle doit également reprendre le chemin de lécole pour une nouvelle année. Sautant une classe, elle entre en 3e, où lon prépare la première communion. Linstruction religieuse sera lune des matières importantes, une matière dans laquelle Thérèse excelle. La perspective de la communion, tant attendue, est pour elle un rayon de soleil. Mais, comble de malheur, elle en est exclue à cause dun règlement récent de lévêché qui fixe lâge des communiantes. Loncle Isidore nhésite pas à se rendre à Bayeux pour solliciter une dispense de lévêque, mais il rentre bredouilleD 21.

Même la demi-heure que la supérieure accorde à Pauline pour rencontrer sa famille au parloir chaque jeudi devient pour Thérèse un supplice. La jeune carmélite la néglige un peu, et il ne reste souvent que deux ou trois minutes pour lui parler : « Ah ! ce que jai souffert à ce parloir du carmel ! » À dix ans, il lui semble perdre sa maman pour la seconde fois : « Je me disais au fond de mon cœur : « Pauline est perdue pour moi !!! » »D 21

Une étrange maladie

Vers le mois de décembre 1882, la santé de Thérèse se dégrade étrangement : elle est prise continuellement de maux de tête, de douleurs au côté. Elle mange peu, dort mal ; des boutons apparaissent. Son caractère change également : elle se fâche parfois avec Marie, et se chamaille même avec Céline, pourtant si proche delle. Au parloir du carmel, Pauline sinquiète pour sa jeune sœur, à qui elle prodigue conseils et réprimandes affectueusesD 22.

Pendant les vacances de Pâques 1883, Louis Martin organise un voyage à Paris avec Marie et Léonie. Loncle Guérin accueille de son côté Céline et Thérèse. Le 25 mars, soir de Pâques, on évoque au repas le souvenir de Zélie. Thérèse seffondre alors en larmes et on doit la coucher. Elle passe une nuit très agitée ; son oncle inquiet fait appel le lendemain à un médecin. Celui-ci diagnostique « une maladie très grave dont jamais aucune enfant na été atteinte ». Devant la gravité de son état, on adresse un télégramme à Louis, qui revient en hâte de ParisD 22.

Plusieurs fois par jour, elle souffre de tremblements nerveux, dhallucinations et de crises de frayeur. Puis elle est prise dun grand état de faiblesse et, bien quelle garde toute sa lucidité, on ne peut la laisser seule. Pourtant, la malade répète quelle veut assister à la prise dhabit de Pauline, prévue le 6 avril. Le matin du jour fatidique, après une crise particulièrement forte, Thérèse se lève comme par miracle et, apparemment guérie, se rend avec sa famille au carmel. Elle passe ainsi toute la journée, pleine de gaieté et dentrain. Mais le lendemain, cest une rechute brutale : la malade délire et semble privée de sa raison. Le médecin, très inquiet, ne trouve toujours pas lorigine de son mal. Louis Martin se demande si sa « pauvre petite fille » ne va pas mourir ou sombrer dans la folieD 23.

Toute la famille prie pour Thérèse, on fait dire une neuvaine de messes à léglise Notre-Dame des Victoires à Paris, on place dans sa chambre une statue de la Vierge. Mais la malade ne retrouve provisoirement la raison que lorsquelle reçoit une lettre de sa sœur carmélite, quelle lit et relit maintes foisD 23.

Le 13 mai 1883, jour de la PentecôteB 6, Léonie, Marie et Céline tentent de calmer Thérèse qui ne les reconnaît pas. Impuissantes à la soulager, elles sagenouillent au pied du lit et se tournent vers la statue de la Vierge. Thérèse racontera plus tard : « Ne trouvant aucun secours sur la terre, la pauvre petite Thérèse sétait aussi tournée vers sa mère du Ciel, elle la priait de tout son cœur davoir enfin pitié delle ... »E 9 Thérèse est alors bouleversée par la beauté de la Vierge et surtout par le sourire quelle lui adresse : « Ah ! Pensais-je, la sainte Vierge ma souri, que je suis heureuse ... » À ce moment, la malade se détend devant ses sœurs stupéfaites. Dès le lendemain, toute trace de la maladie disparaît, si ce nest deux petites alertes dans le mois suivant. Thérèse demeure fragile, mais elle ne souffrira à lavenir daucune nouvelle manifestation de ces troublesD 24.

Le médecin ayant conseillé à la famille déviter à la fillette toute émotion forte, elle est désormais choyée à lexcès par son entourageD 24.

Fin mai 1883, elle peut reprendre les visites à Pauline, au parloir du carmelD 25. Questionnée par sa sœur Marie, Thérèse, qui sétait pourtant promis de garder le secret du sourire de la Vierge, finit par tout lui raconter. Les carmélites crient au miracle et la pressent de questions. Sa joie se change alors en souffrance : elle simagine avoir trahi la Vierge. Dautant quun doute insidieux sinfiltre en elle : na-t-elle pas simulé sa maladieD 25 ? Elle écrira : « Je me figurais avoir menti... je ne pouvais me regarder sans un sentiment de profonde horreur. Ah ! Ce que jai souffert, je ne pourrai le dire quau ciel ! »E 10 Le doute et la culpabilité vont la harceler pendant cinq annéesB 7.

Première communion et confirmation

Par prudence, on prolonge la convalescence de Thérèse jusquaux grandes vacances, qui sont loccasion pour elle de quitter Lisieux et de faire son « entrée dans le monde ». Pour la première fois, elle retrouve Alençon et les lieux de son enfance, mais aussi la tombe de sa mère. Partout, les Martin sont reçus par les amis de la famille, la bonne bourgeoisie dAlençon : « Tout était fête autour de moi, jétais fêtée, choyée, admirée. » Thérèse, qui paraît bien remise de sa maladie, apprécie particulièrement ce monde nouveau pour elle, plein de charmes et de tentations. Elle se laisse éblouir, mais noublie pas pour autant Pauline et le carmel de LisieuxD 26.

Octobre 1883 : cest la rentrée scolaire avec, enfin; la perspective tant attendue de la première communion. Tout au long de lannée, Thérèse est première en catéchisme. Elle se prépare également aux Buissonnets. Chaque semaine, Pauline lui écrit du carmel : elle conseille à sa sœur des sacrifices quotidiens et des prières à offrir à Jésus. Thérèse prend ces listes très au sérieux et sapplique à les suivre scrupuleusementD 27. Elle se confie à Marie, qui laide en suivant la spiritualité de saint François de SalesB 8. La communion est fixée au 8 mai 1884, jour également de la profession de Pauline. Cest une période « sans nuages » pour ThérèseD 27.

Pendant la messe de première communion, Thérèse pleure abondamment : larmes de joie et non de peine. Elle décrira parfaitement toute lintensité de cette première rencontre mystique : « Ah ! Quil fut doux le premier baiser de Jésus à mon âme !... Ce fut un baiser damour, je me sentais aimée, et je disais aussi : "Je vous aime, je me donne à vous pour toujours." Il ny eut pas de demandes, pas de luttes, pas de sacrifices ; depuis longtemps, Jésus et la pauvre petite Thérèse sétaient regardés et sétaient compris. »E 11 En recevant lhostie, elle se sent également et pour toujours en communion avec sa mère au ciel et sa sœur au carmel. La profondeur spirituelle de cette journée nempêche pas la communiante dapprécier la fête de famille ainsi que les nombreux cadeaux quelle reçoitD 28.

Thérèse a hâte de pouvoir à nouveau recevoir leucharistie, mais la communion est alors soumise à la permission du confesseur. Contre toute espérance, labbé Domin lautorise à communier pour la seconde fois deux semaines plus tard : le 22 mai 1884, jour de lAscensionD 29. Pendant lannée qui suit, elle reçoit de grandes grâces, mais aussi lintuition que des souffrances lattendent. Elle se sent prête à les affronter et éprouve même « un grand désir de la souffrance », tandis que les doutes et scrupules nés de sa maladie disparaissentD 30.

Le 14 juin 1884, elle est confirmée par Mgr Hugonin, évêque de Lisieux. Sa marraine de confirmation est sa sœur Léonie. En recevant le Saint-Esprit, la jeune confirmée est émerveillée par ce « sacrement dAmour » qui, elle en est sûre, lui donnera la « force de souffrir »D 31.

Les vacances de lété 1884 sont splendides : Thérèse passe le mois daoût chez la mère de sa tante. Ce séjour dans la campagne normande ravit la jeune fille, comme en témoigne Mme Guérin dans une lettre à son mari : « La figure de Thérèse est toujours rayonnante de bonheur. »D 32

Après ces excellentes vacances, la jeune fille fait sa rentrée en octobre 1884. Une année scolaire sans histoire, même si elle souffre toujours de la dissipation de certaines camarades de classe. Sa maîtresse se souviendra delle comme dune élève douce et sensible, prompte à fondre en larmes lorsquelle nest pas la premièreD 32.

Les scrupules

En mai 1885, Thérèse se prépare à ce quon appelle alors la deuxième communion. Lors de la retraite, suivant la tonalité dune partie du clergé à lépoqueD 33, labbé Domin insiste sur les fautes à ne pas commettre, les péchés mortels, la mort et le jugement dernierD 34,F 1.

Les « peines dâme », qui avaient tant tourmenté Thérèse et qui semblaient avoir disparu, se réveillent brusquement. La jeune fille, si fragile, sombre à nouveau dans la « terrible maladie des scrupules ». Thérèse se croit en faute et développe un fort sentiment de culpabilité à propos de tout. « Actions et pensées les plus simples deviennent pour elle sujet de trouble. »D 35 Elle nose se confier à Pauline, qui lui paraît si lointaine dans son carmel. Il lui reste Marie, sa « dernière mère », à qui elle raconte désormais tout, y compris ses pensées les plus « extravagantes ». Celle-ci laide à préparer ses confessions en laissant de côté toutes ses peurs. Docile, Thérèse lui obéit. Cela a pour effet de cacher sa « vilaine maladie » à ses confesseurs, la privant ainsi de leurs conseilsD 35,F 1.

Les vacances dété sont un moment de diversion pour Thérèse. Avec sa sœur Céline, elles passent quinze jours à Trouville, au bord de la mer. « Thérèse est franchement heureuse », constate sa tante, « jamais je ne lai vue aussi gaie ». Mais peut-être ne fait-elle que cacher ses souffrancesD 36.

La rentrée en octobre 1885 ne commence pas sous les meilleurs auspices. En effet, Céline, la compagne de jeu, la grande sœur toujours prête à la défendre, a terminé ses études. Sa cousine Marie, souvent souffrante, ne reprend pas lécole. Thérèse est seule à lAbbaye. Elle sefforce de se lier avec des camarades, mais en vain. En outre, lannée commence avec une retraite où lon insiste encore sur le péché, lenfer et la mortD 37.

Au début de lannée 1886, Thérèse, âgée de treize ans, commence à souffrir de maux de tête. Début mars, les maux de tête sont devenus continuels ; devant les absences répétées de la jeune fille, son père se résout à la retirer de labbaye. Désormais, elle se rend trois ou quatre fois par semaine chez Mme Papineau pour des leçons particulières. Cest une ambiance très différente chez cette dame de cinquante ans, « bien bonne personne, très instruite, mais ayant un peu des allures de vieille fille », qui vit avec sa mère et son chatD 38.

La jeune fille profite de ses nombreux temps libres pour aménager une mansarde des Buissonnets : un « vrai bazar ». Elle y est chez elle et passe des heures à étudier, à dévorer des livres, à méditer et prierD 39.

En juin, pour lui changer les idées, on lenvoie de nouveau à Trouville. Mais sans Céline, elle sennuie et tombe malade. Inquiète, sa tante la ramène à Lisieux. Aussitôt, elle recouvre la santé : « ce nétait que la nostalgie des Buissonnets », reconnaît-elleD 39.

En octobre 1886, sa sœur aînée Marie entre également au carmel de Lisieux et devient sœur Marie du Sacré-CœurB 9, tandis que Léonie se fait admettre chez les clarisses. Surpris et peiné, Louis Martin ne conserve avec lui aux Buissonnets que ses deux cadettes. Après le départ de sa « troisième maman », Thérèse passe par une période dépressive et pleure fréquemmentD 40.

Ses crises de scrupules atteignent leur paroxysme et elle ne sait à qui se confier, maintenant que Marie est partie au carmel. Elle prie alors spontanément ses quatre frères et sœurs décédés en bas âges. Elle sadresse à eux avec simplicité, leurs demandant dintercéder pour quelle recouvre la paix qui la quittéeE 12. La réponse ne se fait pas attendre et elle se sent aussitôt apaiséeD 41 : « Je compris que si jétais aimée sur la terre, je létais aussi dans le ciel. »E 12

Malgré cette guérison qui fait disparaître ses scrupules, Thérèse est toujours excessivement émotive : « Jétais vraiment insupportable par ma trop grande émotivité. » Ladolescente qui va avoir quatorze ans peine à sortir de lenfance, comment pourrait-elle supporter la dure vie des carmélites ? Il faudrait pour cela un miracleD 42.

La conversion de Noël 1886

Thérèse à treize ans

Le soir de Noël, Louis Martin et ses filles assistent à la messe de minuit à la cathédrale, mais le cœur ny est pas. De retour aux Buissonnets, comme chaque année, Thérèse place ses souliers devant la cheminée pour quon y dépose ses cadeaux. Fatigué et agacé par cet enfantillage, Louis dit à Céline : « Heureusement que cest la dernière année ! »E 13 Thérèse commence à pleurer puis, brusquement, se reprend et essuie ses larmes. Joyeuse, elle ouvre alors ses cadeaux devant Céline qui nen revient pasD 43.

Elle explique le mystère de cette conversion dans ses écrits. Parlant de Jésus, elle affirme ainsi qu« en cette nuit où Il se fit faible et souffrant pour mon amour, il me rendit forte et courageuse »E 14. Elle découvre alors la joie dans loubli delle-même et ajoute : « Je sentis, en un mot, la charité entrer dans mon cœur, le besoin de moublier pour faire plaisir, et depuis lors je fus heureuse. »E 15 Brusquement, elle est libérée des défauts et imperfections de son enfance : cette grâce reçue le soir de Noël la fait grandir et entrer dans lâge adulte. Elle a retrouvé « la force dâme quelle avait perdue » lors de la mort de sa mère, et cétait « pour toujours quelle devait la conserver »D 44.

Beaucoup de choses changeront après cette nuit de Noël 1886, qui marque le début de la troisième partie de sa vie, « la plus belle »D 44. Elle lappellera la « nuit de ma conversion »Note 2 et écrira : « Depuis cette nuit bénie, je ne fus vaincue en aucun combat, mais au contraire je marchai de victoires en victoires et commençai, pour ainsi dire, une course de géant. »E 14

Quelques semaines avant sa mort, elle reparlera de cet événement : « Jai pensé aujourdhui à ma vie passée, à lacte de courage que javais fait autrefois à Noël ! Et la louange adressée à Judith mest revenue à la mémoire : « Vous avez agi avec un courage viril et votre cœur sest fortifié ». Bien des âmes disent : mais je nai pas la force daccomplir tel sacrifice. Quelles fassent donc ce que jai fait : un grand effort ! le bon Dieu ne refuse jamais cette première grâce qui donne le courage dagir ; après cela, le cœur se fortifie et lon va de victoires en victoires. »E 16

Pranzini

Transformée et épanouie, Thérèse se développe sur tous les plans. Elle se rapproche alors de Céline, sa nouvelle confidente. Avec la permission de son confesseur, elle communie quatre à cinq fois par semaine, ce qui la fait pleurer de joie : « Je sentais en mon cœur des élans inconnus jusqualors, parfois javais de véritables transports damour. »D 45 Tout lintéresse, et elle lit énormément, notamment LImitation de Jésus-Christ quelle connaît par cœur et quon samuse à lui faire réciter quand elle se rend chez les GuérinE 17.

Elle ressent à cette époque le besoin de prier pour la conversion des pécheurs. Les journaux parlent alors abondamment dun condamné à mort, Henri Pranzini, quils présentent comme un monstre, car il na jamais exprimé le moindre regret de ses meurtresB 10. Lexécution doit avoir lieu au cours de lété 1887D 46,9 et Thérèse décide dobtenir sa conversionNote 3. Elle fait pour cela des sacrifices et prie plus intensément encoreD 46. Confiante dans la miséricorde de Dieu, elle lui demande un simple signe de conversion afin dêtre encouragée dans ses prièresD 46. Lors de son exécution, Pranzini refuse de voir le prêtre mais, au dernier moment, il se retourne et embrasse la Croix avant de mourirD 46.

Le récit de la mort de Pranzini, quelle lit dans le journal de son pèreNote 4, marque Thérèse et conforte sa vocation. Elle devra consacrer sa vie au Carmel et devenir religieuse, afin de prier pour tous les pécheursD 46. Elle poursuit ses prières pour Pranzini et demande que des messes soient célébrées pour celui quelle appelle son « premier enfant »E 18.

Cet épisode éclaire un aspect capital de la théologie que développera Thérèse de Lisieux, celle de la miséricorde divine : elle est certaine que Dieu a pardonné à Pranzini. Cette vision est dautant plus radicale que lopinion publique et les journaux de lépoque nont que très peu dindulgence envers les criminelsB 11.

Candidature au carmel

Statue représentant Thérèse et son père : elle lui demande lautorisation dentrer au carmel

Thérèse se sent désormais prête à entrer au carmel de Lisieux, elle en a même fixé la date : le 25 décembre 1887, jour anniversaire de sa conversion. Elle sait également quil lui faudra surmonter de nombreux obstacles et, songeant peut-être à Jeanne dArc, elle se déclare décidée à « conquérir la forteresse du Carmel à la pointe de lépée »D 47.

Il lui faut dabord obtenir le consentement de sa famille et notamment de son père. Déterminée, mais timide, elle hésite avant de lui confier son secret, dautant que Louis Martin a subi quelques semaines plus tôt une petite attaque qui la laissé paralysé pendant plusieurs heures. Le 2 juin 1887, jour de la Pentecôte, après avoir prié toute la journée, elle lui présente sa requête le soir, dans le jardin des Buissonnets. Louis lui objecte sa jeunesse, mais il se laisse vite convaincre par sa fille. Il ajoute que Dieu lui fait « un grand honneur de lui demander ainsi ses enfants »D 47.

Ses sœurs sont partagées : Marie cherche à retarder la décision, tandis que Pauline lencourage. Céline, qui souffre par avance du départ de sa sœur, la soutient néanmoinsD 48.

Mais un obstacle de taille se dresse en octobre 1887 : loncle Isidore, subrogé-tuteur des filles Martin, met son veto au projet de sa nièce. Prudent, le pharmacien de Lisieux craint le « quen-dira-t-on » et, sil ne met pas en doute la vocation religieuse de Thérèse, il lui demande dattendre lâge de dix-sept ans. La jeune fille, confiante malgré tout, se confie à Pauline. Mais, du 19 au 22 octobre, elle éprouve pour la première fois de sa vie une aridité intérieure. Cette « nuit profonde de lâme » la désoriente, elle qui a reçu tant de grâces depuis Noël. Devant son désarroi au parloir, Pauline se décide à écrire à Isidore Guérin. Celui-ci, par estime pour sa filleule, donne finalement son accord le 22 octobreD 49.

Thérèse nest pourtant pas au bout de ses peines, puisquelle se heurte maintenant au refus catégorique du chanoine Delatroëtte, supérieur du carmel. Échaudé par léchec dune affaire semblable, dont tout le monde parle à Lisieux, il naccepte plus de postulante de moins de vingt-et-un ans. Seul lévêque pourrait le faire fléchir. Pour consoler sa fille en larmes, Louis promet de lui faire rencontrer Mgr HugoninD 49. Celui-ci reçoit Thérèse à Bayeux le 31 octobre, et lécoute exprimer le vœu de se consacrer à Dieu, quelle éprouve depuis quelle est enfantE 19. Mais il remet sa décision à plus tard, quand il aura pris lavis du chanoine DelatroëtteD 50.

Il ne reste plus quun espoir : le pape Léon XIII, que Louis Martin doit rencontrer prochainement au cours dun pèlerinage à Rome organisé par le diocèse de Coutances. Thérèse et Céline seront du voyage, dont le départ est fixé au 4 novembre 1887D 50.

Pèlerinage à Rome

Le pèlerinage auquel se joint la famille Martin est organisé à loccasion du jubilé de Léon XIII. Emmené par lévêque de Coutances, il réunit près de deux cents pèlerins, dont soixante-quinze prêtresD 51. En labsence de Mgr Hugonin, cest labbé Révérony, son vicaire général, qui le représenteD 52. Le prix du voyage a opéré une sélection sévère : le quart des pèlerins appartient à la noblesseD 53.

Le rendez-vous étant fixé à Paris, Louis Martin profite de loccasion pour faire visiter la capitale à ses filles. Cest pendant une messe à Notre-Dame des Victoires, une église chère à Louis, que Thérèse est enfin délivrée du dernier de ses doutes : cest bien la Vierge qui lui a souri et la guérie de sa maladie. Elle lui confie le voyage et sa vocationD 53.

Un train spécial les conduit en Italie, après avoir traversé la Suisse. La jeune fille ne se lasse pas dadmirer les paysages quelle découvre pendant le voyageD 54. Elle est consciente de ce quelle perdra : « je me disais : plus tard, à lheure de lépreuve, lorsque prisonnière au Carmel, je ne pourrai contempler quun petit coin de ciel étoilé, je me souviendrai de ce que je vois aujourdhui »B 12.

Les pèlerins sont reçus dans les meilleurs hôtels. Autrefois timide et réservée, Thérèse se montre très à laise dans tout ce luxe, au milieu de cette bonne société. La benjamine du pèlerinage, vive et jolie avec ses belles toilettes, ne passe pas inaperçueD 53.


Les visites senchaînent : Milan, Venise, Bologne, Notre-Dame de Lorette ; enfin, cest larrivée à Rome. Au Colisée, Thérèse brave les interdictions et entre dans larène pour baiser le sable où le sang des martyrs a coulé. Elle demande la grâce dêtre martyre pour Jésus, puis ajoute : « Je sentis au fond de lâme que ma prière était exaucée. » Elle cherche à tout voir, tout visiter ... les journées ne sont pas assez longues. Dailleurs, sa fougue juvénile ne plaît pas à certains ecclésiastiquesD 55.

Le pape Léon XIII
Thérèse à quinze ans, en avril 1888

Mais Thérèse noublie pas le but de son voyage. Une lettre reçue de sa sœur Pauline lencourage à présenter sa requête au pape. Elle lui répond « cest demain, dimanche, que je parlerai au Pape ». Le 20 novembre 1887, de bon matin, les pèlerins assistent dans la chapelle pontificale à une messe célébrée par le pape. Puis cest le moment tant attendu de laudience : le vicaire général présente chacun à son tour au pape. Mais le vieil homme de soixante-dix-sept ans étant fatigué, on défend aux pèlerins de lui parler. Malgré tout, son tour venu, Thérèse sagenouille et dit en pleurant : « Très Saint-Père, jai une grande grâce à vous demander. » Le vicaire explique quil sagit dune jeune fille qui veut entrer au Carmel. « Mon enfant, faites ce que les supérieurs vous diront », répond le pape. La jeune fille insiste : « Oh Très Saint-Père, si vous disiez oui, tout le monde voudrait bien. » Léon XIII lui rétorque : « Allons ... allons ... vous entrerez si le Bon Dieu le veut ! » Mais Thérèse souhaite une parole décisive et attend, les mains jointes sur les genoux du pape. Deux gardes doivent alors la porter jusquà la sortieD 56.

Le soir même, elle écrit à Pauline pour lui raconter léchec : « Jai le cœur bien gros. Cependant, le Bon Dieu ne peut pas me donner des épreuves qui sont au-dessus de mes forces. Il ma donné le courage de supporter cette épreuve. »D 57 Bien vite, tout le pèlerinage connaît le secret de Thérèse, et même Lisieux puisquun journaliste du journal lUnivers publie lincidentB 13.

Le voyage se poursuit : on visite Pompéi, Naples, Assise ; puis cest le retour par Pise et Gênes. À Nice, une lueur despoir pour Thérèse : le vicaire général promet dappuyer sa demande. Le 2 décembre, cest larrivée à Paris et, enfin, le lendemain, le retour à LisieuxD 58.

Voici un pèlerinage de près dun mois qui se solde par un échec pour Thérèse : un « fiasco »D 57, écrira Céline. Pourtant, ce voyage est arrivé à point nommé pour sa personnalité en plein développement ; il lui a « plus appris que de longues années détudes ». Pour la première et dernière fois de sa vie, elle a quitté sa Normandie natale : elle a traversé la France, la Suisse, et visité toute lItalie. Attentive à tout ce quelle voyait et entendait, elle a compris quelque chose de lhistoire des peuples et de lÉgliseD 59. Notamment, elle qui ne connaissait les prêtres que dans lexercice de leur ministère ; elle les a côtoyés, elle a entendu leurs conversations, pas toujours édifiantes. Elle a découvert quils ne sont pas parfaits, que ce sont simplement des hommes et parfois « des hommes faibles et fragiles ». Elle sait désormais pourquoi le carmel prie spécialement pour eux : « Jai compris ma vocation en Italie. »D 60

Elle a appris également à mieux se connaître : elle sest révélée gaie, pleine dhumour, très à laise dans le monde. Elle a pris conscience de sa féminité et de sa beauté, auxquelles les jeunes Italiens ne sont pas restés indifférents. Elle sent quelle pourrait choisir la voie dun brillant mariage : « Facilement, mon cœur se laisserait prendre à laffection. » Mais sa résolution nen est que plus forte, et cest « librement » quelle accepte de se faire « prisonnière par amour » au carmel. De retour à Lisieux, elle le reconnaît : « il y avait de quoi ébranler une vocation peu affermie »D 61.

Autorisation de lévêque

Dès le lendemain du retour, Thérèse se rend au parloir du carmel, où lon met au point une stratégie. Mais le chanoine Delatroëtte reste intraitable et se méfie des manœuvres des carmélites. Il rabroue mère Geneviève, la fondatrice du carmel de Lisieux, et mère Marie de Gonzague, lactuelle mère supérieure, venues plaider la cause de Thérèse. M. Guérin intervient à son tour, mais en vain. Le 14 décembre, Thérèse écrit à Mgr Hugonin et à son vicaire général, à qui elle rappelle la promesse faite à Nice. Humainement, tout a été tenté ; il faut désormais attendre et prierD 62.

Le soir de Noël, date anniversaire de sa conversion, Thérèse assiste à la messe de minuit. Elle ne peut retenir ses larmes, mais elle sent que lépreuve fait grandir sa foi et son abandon à la volonté divine : elle a eu tort de vouloir imposer une dateD 63.

Enfin, le 1er janvier 1888, veille de ses quinze ans, elle reçoit une lettre de mère Marie de Gonzague : lévêque sen remet à sa décision. Thérèse est donc attendue au carmel mais, ultime délai fixé sur les conseils de Pauline, elle ne pourra entrer quen avril, après les rigueurs du carême. Cette attente est une nouvelle épreuve pour la future postulante, qui y voit pourtant une occasion de se préparer intérieurementD 64.

La date de son départ est finalement fixée au 9 avril 1888, jour de lAnnonciationD 65. Thérèse aura alors quinze ans et trois mois. On peut noter quà lépoque, une jeune fille pouvait faire sa profession religieuse à dix-huit ans. Il nétait donc pas rare de voir, dans les ordres religieux, des postulantes et des novices ayant à peine seize ans. La précocité de Thérèse, au regard des habitudes de lépoque, nest donc pas exceptionnelleF 2.

Vie au carmel

Le carmel de Lisieux en 1888

Carte postale figurant le carmel de Lisieux
Article détaillé : Ordre du Carmel.

Lordre du Carmel a été réformé au XVIe siècle par Thérèse dAvila. La vie au carmel est essentiellement consacrée à la prière personnelle et collective. Les temps de silence et de solitude y sont nombreux, mais la fondatrice a prévu aussi des temps pour le travail ou la détente en commun. Laustérité de cette vie ne doit pas faire obstacle à des relations fraternelles et joyeuses. Toutefois, au cours des siècles, une certaine dérive est apparue, allant dans le sens dun esprit de pénitence parfois excessif et dun moralisme étroit. Le carmel de Lisieux néchappe pas à ces travers, présents dans le christianisme français au XIXe siècleD 66.

Fondé en 1838F 3, le carmel de Lisieux compte en 1888 vingt-six religieuses. La moyenne dâge est de quarante-sept ansD 66. Ces femmes, appelées à prier et vivre en communauté, sont issues de classes sociales et de milieux très divers. Leur scolarité sétant arrêtée tôt, le niveau culturel des religieuses est assez pauvre. Quelques-unes ont pu bénéficier de plus dinstruction ; cest par exemple le cas des sœurs Martin, de la mère prieure Marie de Gonzague, et de deux ou trois autres religieusesD 66.

Les horaires sont les suivantsE 20 : en été, lever à 4 h 45. Prière personnelle de 5 h à 6 h. De 6 h à 8 h : office liturgique et messe. À 8 h, petit déjeuner puis travail. À 10 h : déjeuner, suivi dun temps de détente en commun. À midi, sieste, temps libre en silence. À 13 h, travail pendant une heure, suivi de loffice liturgique des vêpres. À 14 h 30 : lecture spirituelle. 15 h : travail. 17 h : prière personnelle. 18 h : dîner, suivi dune heure de récréation et de loffice des complies. À 20 h, temps libre en silence. À 21 h, office liturgique. Vers 22 h 30 ou 23 h : coucher.

Les religieuses gardent le silence pendant les repas, où une lecture spirituelle à haute voix est faite. Lhiver, le lever est retardé dune heure et la sieste de midi supprimée.

On le voit, cette vocation est essentiellement contemplative, avec deux heures de prière personnelle, quatre heures et demi doffices liturgiques, une demi-heure de lecture spirituelle. Restent cinq heures pour le travail manuel (lessive, cuisine, couture, sacristie...), deux heures de temps libre, en silence, et deux heures de temps de détente en commun.

Pendant la majorité de la vie de Thérèse de Lisieux, la prieure est mère Marie de Gonzague ; de 1874 à 1882, puis de 1886 à 1893 et de 1896 jusquà sa mort en 1904B 14. La prieure, responsable de la communauté, était élue pour trois ans et devait obligatoirement céder sa place tous les six ansF 4. Lorsque Thérèse entre au carmel, mère Marie de Gonzague a cinquante-quatre ans. Cest une femme distinguée, convaincante, et dont le jugement est apprécié par les prêtres de Lisieux. Elle est cependant dhumeur changeanteD 66. Jalouse de son autorité, elle lexerce parfois de façon trop hâtive ou capricieuseF 4, ce qui a pour effet un certain relâchement dans le respect des règles établies10.

La période du postulat

Le postulat de Thérèse commence avec son accueil au carmel, le 9 avril 188811. Dès son entrée, le chanoine Delatroëtte lui rappelle quil sy est toujours personnellement opposé. Cependant, son arrivée a été désirée par de nombreuses sœurs, à commencer par mère Marie de Gonzague. Dès lors, Thérèse ne va t-elle pas trop attirer lattention sur elle ? Encore si sensible et choyée peu de temps auparavant, réussira-t-elle à shabituer à ce mode de vie austère ? De plus, avec sœur Agnès de Jésus (Pauline) et sœur Marie du Sacré-Cœur (Marie), les sœurs Martin sont désormais trois dans la communauté. Ne vont-elles pas chercher à recréer lambiance familiale des Buissonnets D 66?

Mais la jeune postulante sadapte bien à son nouvel environnement. Elle écrira : « Les illusions, le Bon Dieu ma fait la grâce de nen avoir aucune en entrant au Carmel : jai trouvé la vie religieuse telle que je me létais figurée, aucun sacrifice ne métonna [...] »E 21. Ses deux sœurs aînées veulent soccuper delle comme si elles étaient encore aux Buissonnets. Cest alors Thérèse qui les aide à prendre leurs distancesD 67,F 5. Elle cherche surtout à se conformer à la règle et aux habitudes du carmel, quelle apprend chaque jour avec quatre religieuses novices. Plus tard, devenue assistante de la maîtresse des novices, elle répètera à quel point le respect de la règle est important, faisant de son expérience une maxime : « Quand toutes manqueraient à la Règle, ce n’est pas une raison pour nous justifier. Chacune devrait agir comme si la perfection de l’Ordre dépendait de sa conduite personnelle. »12 Thérèse affirme aussi le rôle essentiel de lobéissance dans la vie religieuse : « Lorsquon cesse de regarder la boussole infaillible [de lobéissance] [...], aussitôt lâme ségare dans des chemins arides où leau de la grâce lui manque bientôt. »E 22

Dès le 17 mai, mère Marie de Gonzague écrit delle : « [...] jamais je naurais pu croire à un jugement aussi avancé en quinze années dâge ! pas un mot à lui dire, tout est parfait »D 66. Pourtant, la mère prieure ne la ménage pas. À chaque rencontre, elle lhumilie dune façon ou dune autre, voulant peut-être éprouver sa vocation ou réduire son orgueilD 66. Cest dautant plus douloureux pour Thérèse quelle admire la prieure. Elle aimerait se confier davantage à elle, ou lui demander lune ou lautre permission. Elle résiste pourtant à ce désirD 66,F 4,E 23.

Elle choisit comme père spirituel un jésuite, le père Pichon. Lors de leur première rencontre, elle fait une confession générale, revenant sur tous ses péchés passés. Elle en ressort profondément délivrée. Ce prêtre, qui a lui-même souffert de la maladie des scrupules, la comprend et la rassure. Il lui dit : « En présence du bon Dieu, de la sainte Vierge, et de tous les saints, je déclare que jamais vous navez commis un seul péché mortel. »D 66 Quelques mois plus tard, le père Pichon part en mission au CanadaD 68. Thérèse ne pourra lui demander conseil que par écrit et ses réponses seront malheureusement raresE 24.

Pendant son postulat, Thérèse doit aussi subir quelques brimades dautres sœurs, en raison de son manque daptitude aux travaux manuels. Comme toute religieuse, elle découvre les aléas de la vie en communauté, liés aux différences de tempéraments, de caractères, aux problèmes de susceptibilité ou aux infirmitésD 66.

Mais la souffrance la plus vive vient de lextérieur. Le 23 juin 1888, Louis Martin disparaît de son domicile. Le lendemain, il envoie un télégramme du Havre, sans laisser dadresse. On le retrouve le 27 juin, dans le bureau de poste du Havre. Il est redevenu lucide, mais sa santé mentale nen est pas moins affectéeD 67. Pour Thérèse, qui a toujours aimé et admiré profondément son père, le coup est douloureux. Sy ajoutent la culpabilité de ne pouvoir être à ses côtés pour laider et les rumeurs de la ville dont le carmel se fait lécho : « Si monsieur Martin est devenu "fou", nest-ce pas dû au départ de toutes ses filles en religion, surtout de la plus jeune quil aimait tant ? »D 67 Sur la base des symptômes notés à lépoque, les médecins pensent aujourdhui que Louis Martin souffrait en fait dartériosclérose cérébraleF 6.

La fin du postulat de Thérèse a lieu le 10 janvier 1889, avec sa prise dhabit, qui marque son entrée en noviciatB 15. La cérémonie est présidée par lévêque, Mgr Hugonin. Louis Martin, dont létat sest provisoirement stabilisé, peut y assister. Elle porte désormais lhabit des carmélites : la bure brune et le voile (qui est blanc pour les novices). Elle choisit le nom de « sœur Thérèse de lEnfant Jésus et de la Sainte Face »D 69.

Le noviciat

Douze jours à peine après sa prise dhabit, son père a une crise particulièrement grave. Il délire, se croit sur un champ de bataille, empoigne un revolver... Il doit être désarmé de force et est interné à lasile du Bon Sauveur à Caen. Pour les sœurs Martin, qui ont toujours vénéré leur père, lépreuve est terrible, voire incompréhensibleD 70. Face à tous les commentaires, Thérèse opte pour le silence. Elle sappuie sur la prière, saidant de versets de la Bible. Lanalyse graphologique, faite au XXe siècle, de ses lettres la montre dans un état de grande tension, parfois au bord de la ruptureD 71.

Dans cette période, elle approfondit le sens de sa vocation : mener une vie cachée, prier et offrir ses souffrances pour les prêtres, oublier son amour-propre, multiplier les actes discrets de charité. Elle qui veut devenir une grande sainte ne se fait pas dillusion sur elle-même. Elle écrira : « Je mappliquais surtout à pratiquer les petites vertus, nayant pas la facilité den pratiquer les grandes. »D 72 Elle simprègne de lœuvre de Jean de la Croix, lecture spirituelle peu commune à lépoque, surtout pour une si jeune religieuseD 73.

La contemplation de la Sainte Face nourrit sa vie intérieure. Il sagit dune image représentant le visage défiguré de Jésus lors de sa passionF 7. Elle approfondit sa connaissance et son amour pour le Christ en méditant sur son abaissement à laide du passage du Livre dIsaïe sur le serviteur souffrant (Isaïe 53, 1-2)D 73. Elle dira « Moi aussi, je désirais être sans beauté, seule à fouler le vin du pressoir, inconnue de toute créature. »E 25 Cette méditation laide aussi à comprendre la situation humiliante de son père. Elle avait toujours vu ce dernier comme une figure de son « Père du Ciel »D 73. Elle découvre désormais lépreuve de Louis Martin à travers celle du Christ, humilié et méconnaissableD 73,F 8.

Thérèse, juillet 1896

Thérèse trouve un réconfort dans lamitié spirituelle forte quelle entretient avec la fondatrice du carmel de Lisieux, mère Geneviève. Celle-ci laide et la guide à plusieurs reprises dans sa vie de religieuse. Thérèse en fera plus tard léloge : « [...] je ne vous ai encore rien dit de mon bonheur davoir connu notre sainte mère Geneviève. Cest une grâce inappréciable que celle-là ; eh bien, le Bon Dieu qui men avait déjà tant accordé a voulu que je vive avec une « Sainte », non point inimitable, mais une Sainte sanctifiée par des vertus cachées et ordinaires. »E 26 Ainsi, mère Geneviève lui conseille de servir Dieu, « avec paix et avec Joie, rappelez-vous, mon enfant, que notre Dieu, cest le Dieu de la paix »E 26.

Le 8 septembre 1890, à dix-sept ans et demi, elle fait sa profession religieuse. Cette cérémonie se passe à lintérieur du carmel. La jeune carmélite rappelle pourquoi elle répond à cette vocation : « Je suis venue pour sauver les âmes et surtout afin de prier pour les prêtres. »D 74 Le 24 septembre 1890 a lieu la cérémonie, publique cette fois, de la prise de voile. Son père ne peut y assister, ce qui attriste fortement Thérèse. Cest toutefois, daprès mère Marie de Gonzague, une religieuse accomplie qui prend le voile : « [...] cette ange denfant a 17 ans et demi et la raison de trente ans, la perfection religieuse dune vieille novice, consommée dans lâme et la possession delle-même, cest une parfaite religieuse [...] »D 75.

La vie discrète dune carmélite

Les années qui suivent sont celles de la maturation de sa vocation. Thérèse prie sans grandes émotions sensibles, mais avec fidélité. Elle évite de se mêler des débats qui troublent parfois la vie communautaire. Elle multiplie les petits actes de charité et dattention aux autres, rendant de menus services, sans les signaler. Elle accepte en silence les critiques, même celles qui peuvent être injustes et sourit aux sœurs qui sont déplaisantes avec elle. Elle essaie de tout faire, y compris les plus petites choses, par amour et avec simplicitéD 76. Elle prie toujours beaucoup pour les prêtres, et particulièrement pour le père Hyacinthe Loyson, célèbre prédicateur qui a été excommunié en 1869 et a ensuite quitté lÉglise catholiqueF 9.

Laumônier du carmel, labbé Youf, est un homme scrupuleux, qui insiste beaucoup sur la peur de lenfer. Des prédicateurs de retraites spirituelles partagent le même défaut. Cela naide pas Thérèse qui vit, en 1891, de « grandes épreuves intérieures de toutes sortes »D 77,E 27. Mais la retraite doctobre 1891 est cette fois prêchée par le père Alexis Prou, qui insiste sur la miséricorde, la confiance et labandon entre les mains dun Dieu aimant. Cela confirme Thérèse dans ses intuitions profondesD 77,F 10. Elle écrira : « Il me lança à pleine voile sur les flots de la confiance et de lamour qui mattiraient si fort mais sur lesquels je nosais avancer. »E 27

Lhiver 1891-1892, une épidémie dinfluenza sabat sur la France. Le carmel de Lisieux nest pas épargné. Quatre religieuses meurent de cette maladie. Et toutes les sœurs sont atteintes, à lexception de trois dentre elles, dont Thérèse. Celle-ci se dépense sans compter pour ses sœurs alitées. Elle prodigue des soins, participe à lorganisation de la vie du carmel, fait preuve de courage et force dâme dans ladversité, notamment quand elle doit préparer lenterrement de religieuses décédées. La communauté, qui la jugeait parfois peu utile et empruntée, la découvre désormais sous un autre jourD 78,F 11.

Sa vie spirituelle se nourrit de plus en plus des Évangiles, quelle porte toujours sur elle. Cette habitude nétait pas courante à lépoque. On préférait lire les commentaires de la Bible que de se référer directement à cette dernière. Thérèse y cherche directement « la parole de Jésus », qui léclaire dans ses oraisons et sa vie quotidienneD 79, E 28.

Élection de mère Agnès

Thérèse de lEnfant-Jésus avec les carmélites novices (1894).

En 1893, mère Marie de Gonzague arrive au terme de son deuxième mandat consécutif de prieure. Elle ne peut donc se représenter. Cest Pauline, sœur Agnès de Jésus en religion, qui est élue, le 20 février 1893, prieure du carmel pour trois ansD 80. Cette situation nest pas des plus faciles pour Pauline, désormais appelée mère Agnès, et ses sœurs. Mère Marie de Gonzague compte toujours exercer son influenceD 80. De plus, le chanoine Delatroëtte encourage publiquement mère Agnès à se laisser conseiller par lancienne prieureE 29. Elle devra donc se montrer particulièrement diplomate. En outre, elle ne doit pas donner limpression quelle pourrait favoriser ses deux sœurs, Marie du Sacré-Cœur et ThérèseD 80,F 12.

Mère Marie de Gonzague devient pendant cette période maîtresse des novices. Mère Agnès demande à Thérèse de laider dans cette tâcheD 80. Son rôle consiste à apprendre aux novices la vie religieuse. Thérèse se trouve dans une situation délicate. Elle doit à la fois obéir à sa sœur, devenue prieure, et à mère Marie de Gonzague, les deux femmes étant parfois en désaccordD 80,D 81. Sa conception de lobéissance en fait une assistante docile, même si elle nhésite pas à donner son point de vue, quand on le lui demande. Ainsi, elle donne un avis contraire à celui de mère Marie de Gonzague, qui refusait à lune des novices de faire professionB 16.

Alors quune carmélite quitte le noviciat après trois ans, Thérèse demande, le 8 septembre 1893, à y rester définitivement. Elle gardera donc un statut inférieur à la plupart des autres religieuses, ne pouvant exercer de charges importantes. Elle aura toujours des permissions à demander, ainsi quun horaire et des réunions obligatoires propres aux sœurs du noviciatD 82.

En 1894, Thérèse écrit ses premières Récréations pieuses. Ce sont de petites pièces de théâtre, jouées par quelques religieuses pour le reste de la communauté, à loccasion de certaines fêtesE 30. Sa première création est consacrée à Jeanne dArc, quelle a toujours admirée, et dont la cause de béatification vient dêtre introduiteD 81. Son talent pour lécriture étant reconnu, dautres pièces lui seront confiées, dont une seconde sur Jeanne dArc, réalisée en janvier 1895F 13. Elle écrit également des poèmes spirituels à la demande des autres religieusesD 81,D 83.

Au début de cette même année, elle commence à être prise de maux de gorge et de douleurs dans la poitrine. Malheureusement, mère Agnès nose pas faire appel à un autre médecin que le docteur de Cornière, grand ami de mère Marie de Gonzague, et médecin officiel de la communauté. Le cousin par alliance de Thérèse, Francis la Néele, médecin à Lisieux, ne peut donc lexaminerD 81.

Le 29 juillet 1894, Louis Martin décède. Toujours malade, il était gardé et soigné par Céline, sa quatrième fille. Celle-ci pense aussi, depuis plusieurs années, au carmel. Soutenue par les lettres de Thérèse, elle a entretenu ce désir de se consacrer à Dieu malgré deux demandes en mariage. Céline hésite pourtant encore entre la vie de carmélite et une vie plus active, au service dune mission menée par le père Pichon au Canada. Finalement, suivant le conseil de ses sœurs, elle choisit le Carmel. Elle rentre au carmel de Lisieux le 14 septembre 1894D 84. En août 1895, les quatre sœurs Martin seront rejointes par leur cousine, Marie GuérinD 85.

Thérèse et les carmélites de Compiègne

En 1894 est célébré le centenaire du martyr des carmélites de Compiègne. Cet événement a une grande répercution dans toute la France, et encore plus dans les carmels de France. Les religieuses du Carmel de Compiègne demandent aux sœurs de Lisieux de contribuer à la décoration de leur chapelle. Thérèse de lEnfant-Jésus et Thérèse de Saint-Augustin vont broder des oriflammes. Cette dernière témoignera, au procès de béatification de Thérèse, du zèle et du dévouement de celle-ci en cette circonstance. La petite Thérèse déclarait même : « Quel bonheur si nous avions le même sort ! Quelle grâce. »13

Le 8 septembre 1896, Mgr de Teil, qui instruit alors le procès en béatification des carmélites de Compiègne14, vient faire un exposé à Lisieux sur la vie et la mort de ces religieuses15. Cest précisément à cette période que Thérèse écrit son Manuscrit B : (« Le Martyre, voilà le rêve de ma jeunesse, ce rêve il a grandi avec moi sous les cloîtres du Carmel... Mais là encore je sens que mon rêve est une folie, car je ne saurais me borner à désirer un genre de martyre ... Pour me satisfaire il me les faudrait tous... »16) On a retrouvé trois images représentant les carmélites de Compiègne dans les livres utilisés par Thérèse. Les images étaient annotées par Thérèse. Dans ses Derniers entretiens, en date du 17 juillet, elle inscrit une note concernant sœur Constance de Jésus17.

Découverte de la « petite voie »

Thérèse est entrée au carmel avec le désir de devenir une grande sainte. Mais, fin 1894, au bout de six années, force lui est de reconnaître que cet objectif est pratiquement impossible à atteindre. Elle a encore de nombreuses imperfections et na pas le charisme de Thérèse dAvila, Paul de Tarse et tant dautres. Surtout, elle qui est très volontariste, voit bien les limites de tous ses efforts. Elle reste petite et bien loin de cet amour sans faille quelle voudrait pratiquer. Elle comprend alors que cest sur cette petitesse même quelle peut sappuyer pour demander laide de Dieu. Dans la Bible, le verset « Si quelquun est tout petit, quil vienne à moi ! » (Livre des Proverbes, ch.4, verset 9) lui donne un début de réponse. Elle qui se sent si petite et incapable peut se tourner vers Dieu avec confiance. Mais alors, que va t-il se passer ? Un passage du Livre dIsaïe lui donne une réponse qui lencourage profondément : « Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux. » (Livre dIsaïe, 66, 12-13) Elle conclut que Jésus lui-même va la porter au sommet de la saintetéD 86. Elle écrira : « lascenseur qui doit mélever au ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela, je nai pas besoin de grandir, au contraire, il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. »E 31.

La petitesse de Thérèse, ses limites deviennent ainsi motifs de joie, plus que de découragement. Car cest là que va sexercer lamour miséricordieux de Dieu pour elleD 86. Dans ses manuscrits, elle donne à cette découverte le nom de « petite voie »E 32. Dès février 1895, elle va régulièrement signer ses lettres en ajoutant « toute petite » devant son nomD 86,E 33. Jusque là, Thérèse employait le vocabulaire de la petitesse pour rappeler son désir dune vie cachée et discrète. À présent, elle lutilise aussi pour manifester son espérance : plus elle se sentira petite devant Dieu, plus elle pourra compter sur luiF 14.

Cest aussi pendant cette période quelle commence, à la demande de mère Agnès, décrire ses mémoiresD 87. Elle poursuit également lécriture de pièces de théâtres et de cantiques, dont le plus connu est Vivre damourD 88, 18.

Offrande à lamour miséricordieux

Thérèse de lEnfant-Jésus en 1895

Le 9 juin 1895, lors de la fête de la sainte Trinité, Thérèse a linspiration soudaine quil lui faut soffrir en victime dholocauste à « lamour miséricordieux »D 88. À lépoque, certaines religieuses soffraient comme victime à la justice de DieuD 88. Leur intention était de souffrir, à limage du Christ, et en union avec lui, pour suppléer aux pénitences que ne faisaient pas les pécheursF 15. Ces religieuses qui soffraient de la sorte pouvaient être atteintes de maladies particulièrement longues et douloureuses et on ne manquait pas de faire le lien entre leur souffrance et loffrande quelles avaient faiteF 15. La veille, le 8 juin, Thérèse a encore entendu, au carmel, la vie et la terrible agonie dune dentre elles, sœur Marie de Jésus, carmélite de Luçon, qui sétait bien souvent offerte comme victime à la justice divineF 16. Tout en admirant la générosité de cette offrande, Thérèse ne se voit pas la faire elle-mêmeF 17. La petite voie quelle vient de découvrir quelques mois auparavant lencourage à innover en soffrant plutôt à lamour et à la miséricorde de DieuF 17. Elle a lintuition que Dieu est une fontaine intarissable damour mais que ces flots de tendresse sont comme comprimés car les hommes ne les accueillent pasF 18. Elle soffre alors, le 11 juin, à lamour miséricordieux afin de recevoir de Dieu cet amour qui lui manque pour accomplir tout ce quelle voudrait faire : « Oh mon Dieu ! Trinité Bienheureuse, je désire vous Aimer et vous faire Aimer, travailler à la glorification de la Sainte Église en sauvant les âmes [...]. Je désire accomplir parfaitement votre volonté et arriver au degré de gloire que vous mavez préparé dans votre royaume, en un mot, je désire être Sainte, mais je sens mon impuissance et je vous demande, oh mon Dieu ! dêtre vous même ma sainteté. »E 34,19,D 88 Quelques jours plus tard, alors quelle prie le chemin de croix, elle est prise dun amour intense pour le « bon Dieu »D 88 : « Je brûlais damour et je sentais quune minute, une seconde de plus, je naurais pu supporter cette ardeur sans mourir. »E 35 Elle voit dans cet épisode, qui est rapidement suivi du sentiment de sécheresse spirituel quelle connaît habituellement, la confirmation que son acte doffrande est accepté par DieuD 88.

En août 1895, les quatre sœurs Martin sont rejointes par leur cousine, Marie GuérinD 85. En octobre, un jeune séminariste, labbé Maurice BellièreF 19, demande au carmel de Lisieux quune religieuse soutienne, par la prière et les sacrifices, sa vocation missionnaire. Mère Agnès désigne Thérèse, qui, ayant toujours rêvé davoir un frère prêtre, en est ravie. Elle multiplie les petits sacrifices quelle offre pour la mission du futur prêtre, et lencourage par ses lettresD 89. Et, en février 1896, elle connaît une autre joie avec la profession religieuse de sa sœur Céline (sœur Geneviève, au carmel)D 90.

Le 21 mars 1896 a lieu lélection de la prieure. Après ces trois années où, comme limposait le règlement, elle a dû céder la place, mère Marie de Gonzague sattend à retrouver sa charge de prieureF 20. Mais les élections sont tendues et mère Marie de Gonzague ne lemporte que de justesse, devant mère Agnès. Émue par ce qui vient de se passer, mère Marie de Gonzague décide de garder, tout en étant prieure, la fonction de maîtresse des novices. Elle choisit, comme adjointe, Thérèse. Celle-ci est, de fait, responsable de la formation du noviciat, sans en avoir officiellement le titre. Les autres novices le savent et, qui plus est, sont en majorité ses aînées. Thérèse vit cette mission délicate avec pédagogie, sadaptant à la personnalité de chacune, mais sans faire de concession. Elle veut aider les religieuses à devenir de vraies carmélites, même si le prix à payer est dêtre jugée parfois trop sévèreD 91.

Vis-à-vis de mère Marie de Gonzague, Thérèse reste dans la plus grande obéissance, accomplissant à la lettre, selon le témoignage dune de ses novices, « la multitude de petits règlements que mère Marie de Gonzague établissait ou détruisait au gré de ses caprices, règlements instables dont la communauté tenait peu de compte »20.

Maladie et nuit de la foi

Pendant le carême 1896, Thérèse suit rigoureusement les exercices et les jeûnes. Dans la nuit du Jeudi au Vendredi saint, elle est victime dune première crise dhémoptysie. Elle signale celle-ci à mère Marie de Gonzague, tout en insistant sur le fait quelle ne souffre pas et na besoin de rien. Une seconde crise se reproduit la nuit suivante. Cette fois, la prieure sinquiète et autorise son cousin, le docteur La Néele, à lausculter. Celui-ci pense que le saignement a pu provenir de la rupture dun vaisseau sanguin dans la gorge. Thérèse ne se fait aucune illusion sur son état de santé, mais elle néprouve aucune crainte. Bien au contraire, car la mort va bientôt lui permettre de monter au ciel et de retrouver celui quelle est venu chercher au carmel : sa joie est à son combleD 92. Elle continue de participer à toutes les activités du carmel, sans ménager ses forces.

Le père Adolphe Roulland, frère spirituel de Thérèse

Cette période difficile est aussi une période de déréliction, ou « nuit de la foi ». Pendant la semaine sainte 1896, elle entre soudain dans une nuit intérieure. Le sentiment de foi qui lanimait depuis tant dannées, qui la faisait se réjouir de « mourir damour » pour Jésus a disparu en elle. Dans ses ténèbres, il lui semble entendre une voix intérieure se moquer delle et du bonheur quelle attend dans la mort, alors quelle avance vers « la nuit du néant »D 93. Ses combats ne portent pas sur lexistence de Dieu, mais sur la croyance en la vie éternelleF 21. Une seule impression en elle désormais : elle va mourir jeune, pour rien. Elle nen poursuit pas moins sa vie de carmélite. Seuls les cantiques et les poésies, quelle continue à composer à la demande des sœurs, laissent entrevoir son combat intérieur : « Mon Ciel est de sourire à ce Dieu que jadore, lorsquIl veut se cacher pour éprouver ma foi. »D 93 Les ténèbres ne la quitteront plus et persisteront jusquà sa mort, un an plus tard. Pourtant, elle vit cette nuit comme lultime combat, loccasion de prouver malgré tout son indéfectible confiance en DieuD 93. Refusant de céder à cette peur du néant, elle multiplie les actes de foi. Elle signifie par là quelle continue à croire, bien que son esprit soit envahi par les objectionsF 21. Ce combat est dautant plus douloureux quelle a toujours manifesté son désir dêtre active et de faire beaucoup de bien après sa mortF 21.

À partir de mai 1896, à la demande de mère Marie de Gonzague, Thérèse parraine un second missionnaire : le père RoullandD 94,F 22. Sa correspondance avec ses frères spirituels est loccasion de développer sa conception de la sainteté : « Ah ! Mon frère, que la bonté, lamour miséricordieux de Jésus sont peu connus !... Il est vrai que pour jouir de ces trésors, il faut shumilier, reconnaître son néant, et voilà ce que beaucoup dâmes ne veulent pas faire. »E 36

En septembre 1896, Thérèse éprouve toujours de nombreux désirs : elle veut être à la fois missionnaire, martyr, prêtre, docteur de lÉgliseE 37. Elle lit alors les écrits de saint Paul. Dans la Première épître aux Corinthiens, lhymne à la charité, au chapitre 13, léclaire profondémentD 95. Comme un éclair qui la traverse, le sens profond de sa vocation lui apparaît soudain : « Ma vocation enfin je lai trouvée, MA VOCATION CEST LAMOUR !... »E 37 En effet, la vocation à la charité englobe toutes les autres ; cest donc elle qui répond à tous les désirs de Thérèse. « Je compris que lAmour renfermait toutes les vocations, que lAmour était tout, quil embrassait tous les temps et tous les lieux. En un mot quil est Éternel. »E 38 Thérèse sévertue alors, de plus en plus, à vivre tout par amour. De nombreux exemples la montrent cherchant à faire le bien des religieuses, tout particulièrement de celles au tempérament difficileE 39. Le père Rouland lui fait connaître Théophane Vénard. Elle découvre ses écrits en novembre 1896, et Théophane devient pour elle un modèle de prédilection21. Elle trouve dans sa correspondance de nombreux points communs avec elle : « Ce sont mes pensées ; mon âme ressemble à la sienne. »22 Elle recopiera plusieurs passages de Théophane Vénard dans son testament.

Aggravation de la maladie

Janvier 1897, Thérèse vient davoir vingt-quatre ans et elle écrit : « je crois que ma course ne sera pas longue ». Pourtant, malgré laggravation de la maladie pendant lhiver, Thérèse parvient encore à donner le change aux carmélites et à tenir sa place dans la communauté. Mais au printemps, les vomissements, les fortes douleurs à la poitrine, les crachements de sang deviennent quotidiens et Thérèse saffaiblitD 96.

En avril 1897, elle subit le contrecoup de laffaire Diana Vaughan. Celle-ci est connue depuis 1895 par ses mémoires, racontant son passage dans les milieux sataniques, suivi de sa conversion grâce à lexemple de Jeanne dArc. Thérèse, frappée comme beaucoup de catholiques par ce témoignage, et admirative dune prière composée par Diana Vaughan, lui a envoyé quelques lignesD 97, F 23. Et Mère Agnès a joint au courrier une photo de Thérèse jouant le rôle de Jeanne dArcF 23. Thérèse a aussi écrit, en juin 1896, une courte pièce de théâtre, sinspirant de la conversion de Diana Vaughan, et intitulée Le Triomphe de lhumilitéF 23. Diana Vaughan vivant cachée, cest un nommé Léo Taxil, ancien anticlérical, converti lui aussi, qui est son intermédiaire auprès de la presse. Mais, à partir de 1896, on se met à douter de sa sincérité. Léo Taxil annonce alors, pour le 19 avril 1897, une conférence quil donnera avec la célèbre jeune femme. Lors de cette séance publique, il révèle que Diana Vaughan na jamais existé et que cette histoire est un canular monté de toute pièce. Lassistance est scandalisée. Au carmel, on apprend la nouvelle le 21 avril. Et le 24, Thérèse découvre que la photo la représentant en Jeanne dArc a été projetée lors de la conférenceF 23. Elle vit cet épisode comme une humiliationF 23, et une épreuve, surtout dans cette période où elle est tenaillée par les doutesD 98.

En juin, mère Marie de Gonzague lui demande de poursuivre la rédaction de ses mémoiresNote 5, D 99. Il lui arrive décrire dans le jardin, sur la chaise dinfirme utilisée par son père dans les dernières années de sa maladie, et cédée ensuite au carmelF 24. Son état empirant, elle est placée le 8 juillet 1897 à linfirmerie, où elle restera pendant douze semaines jusquà sa mortD 100.

Mort de Thérèse, photo prise à linfirmerie le 1er octobre 1897

Se sachant condamnée, et vivant toujours cette nuit de la foi qui la prive de limpression intérieure dune vie après la mort, Thérèse nen continue pas moins de dire, à plusieurs reprises, son espéranceF 25. Le 17 juillet, elle confie : « Je sens que je vais entrer dans le repos... Mais je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je laime, de donner ma petite voie aux âmes. Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusquà la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre. »E 40

Le 17 août, le docteur La Néele examine Thérèse. Son diagnostic est sans appel : cest une tuberculose au stade le plus avancé, un poumon est perdu et lautre atteint, les intestins sont touchés. Ses souffrances sont alors extrêmes : « Cest à en perdre la raison. » Puis elles sapaisent dans une dernière phase de rémission ; Thérèse reprend quelques forces, elle retrouve même son humourD 101. Ses sœurs consignent ses paroles. Elles lui demandent comment linvoquer quand elles prieront plus tard ; elle répond quil faudra lappeler « petite Thérèse »D 102, E 41.

À partir du 29 septembre 1897, son agonie commence. Elle passe une dernière nuit difficile, veillée par ses sœurs. Au matin, elle leur dit : « Cest lagonie toute pure, sans aucun mélange de consolation. » Elle demande à être préparée spirituellement à mourir. Mère Marie de Gonzague la rassure, lui disant quayant toujours pratiqué lhumilité, sa préparation était faite. Thérèse réfléchit un instant puis répond : « Oui, il me semble que je nai jamais cherché que la vérité ; oui, jai compris lhumilité du cœur... »E 42 Sa respiration est de plus en plus courte, elle étouffeD 103. Après plus de deux jours dagonie, elle est épuisée par la douleur : « Jamais je naurais cru quil était possible de tant souffrir ! Jamais ! Jamais ! Je ne puis mexpliquer cela que par le désir ardent que jai eu de sauver des âmes. »E 42 Vers sept heures du soir, elle prononce ses dernières paroles « Oh ! je laime ! ... Mon Dieu ... Je vous aime ... »E 42 Elle saffaisse, puis rouvre une dernière fois les yeux. Daprès les carmélites présentes, elle a alors une extase, qui dure lespace dun credo, avant de rendre le dernier soupirE 43. Elle meurt le 30 septembre 1897 à 19 h 20, à lâge de vingt-quatre ansD 104. « Je ne meurs pas, jentre dans la vie », écrivait-elle dans lune de ses dernières lettresE 44.

Elle est inhumée le 4 octobre au cimetière de Lisieux, dans une nouvelle concession acquise pour le carmel. Les carmélites ne peuvent quitter le couvent, et cest un « fort petit » cortège qui suit le corbillardD 105.

Postérité de Thérèse de Lisieux

Les écrits de Thérèse

Histoire dune âme

À la mort de Thérèse, mère Agnès dispose de différents écrits autobiographiques, quon désigne sous le terme de Manuscrits A, B et C.

Le Manuscrit A est rédigé à la demande de mère Agnès pendant lannée 1895. Au cours de lhiver 1894, la sœur de Thérèse, prieure du carmel, lui ordonne décrire tous ses souvenirs denfance. Fin janvier 1895, Thérèse achète un petit cahier décolier et sattèle à la tâche, écrivant généralement le soir après loffice de complies. Avec humour et sur un ton allègre, sans plan établi, elle nécrit pas lhistoire de sa vie, mais bien l« histoire de son âme », quelle intitule Histoire printanière dune petite fleur blanche. Cette relecture lui est bénéfique, car elle laide à mieux comprendre le sens de ce quelle a vécu. Ce sont finalement six cahiers quelle remplit au long de lannée 1895D 106 et quelle remet à la prieure le 20 janvier 1896D 107.

Le Manuscrit B est un ensemble de lettres adressées à la marraine de Thérèse, sa sœur Marie. En septembre 1896, alors que Thérèse connaît la gravité de sa maladie et quelle est entrée dans une nuit de la foi, elle commence sa retraite annuelle. Elle profite des temps de silence et de méditation pour écrire des lettres quelle adresse directement à Jésus. Elle décrit ce quelle vit depuis quelques mois, mais surtout les grâces reçues en septembre 1896, et la grande découverte quelle fait alors : lamour est sa vocation. Marie lui ayant demandé de rédiger une présentation de sa « petite doctrine », elle lui remet ces lettres qui constituent « la charte de la petite voie denfance »D 108.

Le Manuscrit C est écrit en obéissance à mère Marie de Gonzague. En réalité cest mère Agnès, réalisant que sa sœur va mourir, qui incite la prieure à obtenir de Thérèse la suite du récit de sa vie. Cest sur un petit carnet à la couverture noire, à partir du 3 ou 4 juin 1897, que la malade rédige ses souvenirs : « Pour écrire ma "petite vie", je ne me casse pas la tête ; cest comme si je pêchais à la ligne : jécris ce qui vient au bout. »D 99 Elle y décrit les grâces quelle a reçues au cours de sa vie, les découvertes spirituelles quelle a faites, notamment la « petite voie ». Début juillet, prise par une fièvre de plus en plus forte, elle ne peut plus tenir son porte-plume et continue avec un petit crayonD 109. Fin août, rongée par la maladie, elle doit abandonner la rédaction du carnetD 110.

Peu avant sa mort, Thérèse sait que ses écrits seront diffusés, au moins dans les carmels sous la forme dune circulaireNote 6, et peut-être même publiés comme le propose Pauline en juillet 1897. Elle lui déclare dailleurs avec confiance : « Ma Mère, ces pages feront beaucoup de bien. On connaîtra mieux ensuite la douceur du bon Dieu ... » Elle lui confie par avance la tâche de corriger les écrits à sa guise, consciente du nécessaire travail de relecture et de correctionD 111.

Sans perdre de temps, mère Agnès se met au travail après la mort de Thérèse : sous la responsabilité de mère Marie de Gonzague, elle fond les trois manuscrits en un seul volume, quelle découpe en chapitres. Elle reprend largement le texte, corrige ce qui lui paraît incorrect. Comme laffirme le père François de Sainte-Marie, spécialiste des manuscrits thérésiens, « Elle a pratiquement réécrit lautobiographie. »D 112 Le 30 septembre 1898, un an jour pour jour après la mort de Thérèse, paraît Histoire dune âme, un volume relié de 475 pages, publié à 2 000 exemplaires. Financée par loncle Guérin, la publication a reçu limprimatur de Mgr Hugonin. Le livre est envoyé dans tous les carmels et à quelques personnalités ecclésiastiques. Malgré certaines réticences initiales, laccueil est élogieux et les rééditions se succèdent, puis suit la traduction en anglais (The Little Flower of Jesus en 1901) et dans de nombreuses langues. En 1915, 211 000 volumes ont été diffusés ainsi que 710 000 exemplaires dune version abrégée. Les carmélites de Lisieux et mère Agnès elle-même sont stupéfaites de ce raz-de-maréeD 113.

Des milliers de lecteurs sont profondément touchés. Des prêtres témoignent que cette lecture leur fait beaucoup de bien spirituellementF 26. Ainsi, le père Marie-Joseph Lagrange, fondateur de lÉcole biblique de Jérusalem, dira en 1927 : « Je dois à sainte Thérèse de ne pas être devenu un vieux rat de bibliothèque. Je lui doit tout, car sans elle jaurais dû me racornir, me dessécher lesprit. »23 La lecture dHistoire dune âme inspire aussi de nombreuses vocations, pour le Carmel, mais également dans les autres ordres religieux. Les études sur lœuvre de Thérèse se multiplient et lattente de pouvoir lire les cahiers originaux devient de plus en plus forte. Mais il faut attendre 1956 pour quà la demande du pape Pie XII, le père François de Sainte-Marie publie les Manuscrits autobiographiques en fac-similéD 114 puis, à partir de 1957, dans une édition impriméeE 45. Histoire dune âme est actuellement traduit en plus de quarante langues et dialectesD 115.

Autres écrits

Thérèse interprétant le rôle de Jeanne dArc en 1895, dans une pièce de théâtre écrite par elle-même.

Au début de lannée 1893, mère Agnès demande à Thérèse de composer un cantique. Cette première poésie religieuse sera suivie de nombreuses autres, dans lesquelles la religieuse exprime le fond de son cœurD 116.

En janvier 1894, cest une récréation théâtrale quelle doit écrire pour la fête de la prieure. Elle choisit le thème de Jeanne dArc, quelle considère comme sa « sœur chérie » et dont la béatification est alors en cours. Elle est applaudie par les carmélites qui découvrent son talent et la sollicitent désormais fréquemment, la considérant comme le « poète de la communauté ». Elle compose très librement, puise son inspiration dans ses lectures, notamment le Cantique des cantiques, et exprime ses désirs, ses craintes, son amour de Jésus, sans « sinquiéter du style »D 117.

Lannée suivante, elle écrit et met en scène Jeanne dArc accomplissant sa mission, une pièce spectaculaire avec seize personnages costumés. Elle-même joue le rôle de Jeanne, puis pose pour Céline, que la prieure a autorisée à conserver son appareil photographique, fait exceptionnel dans un carmel à cette époqueD 118. Le 11 juin 1895, Thérèse et Céline prononcent un Acte doffrande à lAmour Miséricordieux, que Thérèse a rédigé le 9 juinD 119. Dès avril 1896, elle entre dans une profonde nuit de la foi, mais elle nen laisse rien paraître. Seuls les cantiques quelle continue à écrire expriment ses ténèbres : « Appuyée sans aucun appui, sans lumière et dans les ténèbres, je vais me consumant damour. »D 120

Pendant sa vie religieuse, Thérèse a également écrit de nombreuses lettres qui nous éclairent sur le développement de sa spiritualité, en particulier celles adressées à sa sœur Céline et à ses frères spirituels : les pères Roulland et BellièreD 121.

Alitée les dernières semaines de sa vie, Thérèse consacre plus de temps à lécriture, mais la maladie lépuise et, le 16 juillet, elle rédige ses dernières lettres dadieuD 122. Mère Agnès, qui veille la malade, note sur un petit carnet jaune les paroles de Thérèse, jusquà son dernier jourNote 7,D 123.

Thérèse de Lisieux a ainsi écrit plus de 250 lettres, 62 poésies, 8 récréations pieuses (pièces de théâtre), et 21 prièresE 46. À partir de 1971, les écrits de la sainte sont publiés conformément aux originauxD 124.

Notoriété populaire

Couverture dun album sur Thérèse de Lisieux

Parallèlement au succès du livre Histoire dune âme, une dévotion populaire à Thérèse de Lisieux se développe rapidement, en France et dans le monde. Elle saccompagne de témoignages de conversions et de guérisons physiques. Dès la fin du XIXe siècle, on prie « la petite sainte » bien avant que lÉglise ne la canonise. Pendant la Première Guerre mondiale, les demandes dintercession à Thérèse se multiplient et sa renommée grandit, même du côté allemand. Lanthologie restreinte des témoignages envoyés au carmel de Lisieux entre 1914 et 1918 comporte à elle seule 592 pagesD 125. En 1914, le carmel de Lisieux reçoit en moyenne cinq cents lettres par jour. Dans les années 1923-1925, le nombre de lettres reçues passe à huit cents par jour24.

Ainsi, vers 1920, Édith, une fillette atteinte dune kératite, est emmenée par sa grand-mère à Lisieux, sur la tombe de Thérèse. Elle retrouve la vue et, devenue Édith Piaf, elle vouera toute sa vie une véritable dévotion à Thérèse de Lisieux, qui est en fait sa cousine au quatorzième degré25, pour ce quelle considère comme un miracleD 126.

La ferveur populaire est rejointe par la reconnaissance de lÉglise, qui canonise Thérèse en 1925.

Le 30 septembre 1957, veille de son exécution, Jacques Fesch, meurtrier converti en prison, écrit sa dernière lettre en citant ThérèseD 127.

La spiritualité de Thérèse de Lisieux a également touché au cours du XXe siècle des philosophes comme Henri Bergson, Jean Guitton, Emmanuel Mounier… des hommes politiques de tous bords tels Marc Sangnier ou Charles Maurras. De nombreux écrivains se sont intéressés à elle, parmi lesquels on peut citer Paul Claudel, Georges Bernanos, Gilbert Cesbron, Julien Green, Maurice Clavel, sans que cette liste soit exhaustiveD 128.

Sainte et docteur de lÉglise

Vitrail représentant Thérèse
Porto Alegre, Brésil
Plaque commémorative dans la basilique de Lisieux

Frappés du nombre de témoignages de prières exaucées par Thérèse de lEnfant Jésus, des fidèles du monde entier demandent quelle soit reconnue comme sainteF 27. Le 15 mars 1907, le pape Pie X souhaite également sa glorification. Le procès ordinaire de béatification, sous la responsabilité de lévêque de Lisieux, Mgr Lemonnier, souvre le 3 août 191026. Trente-sept témoins viennent déposer sur la vie de Thérèse, dont neuf carmélites de Lisieux. Son corps est exhumé le 6 septembre 1910, en présence de plusieurs centaines de personnes. La cause est introduite officiellement par Pie X le 10 juin 1914D 129.

Le procès apostolique, mandaté par le Saint-Siège, commence alors à Bayeux en 1915. Retardé par la guerre, il se termine en 1917. À lépoque, un délai de cinquante ans est nécessaire avant une canonisation, mais le pape Benoît XV exempte la cause de Thérèse de ce délai. Le 14 août 1921, il promulgue le décret sur lhéroïcité des vertusD 129,27.

Deux miracles sont nécessaires à la cause de béatification. On retient donc deux guérisons quon soumet à une enquête. La première concerne un jeune séminariste, Charles Anne, atteint de tuberculose pulmonaire en 1906, et dont létat était jugé désespéré par le médecin. Après deux neuvaines adressées à sœur Thérèse de lEnfant Jésus, sa santé se rétablit brusquement. Une étude radiographique réalisée en 1921 montre la stabilité de la guérison, le trou dans le poumon ayant disparu28. Le second cas étudié est celui dune religieuse souffrant dune affection de lestomac, dégénérant en ulcère trop avancé pour être opéré. Louise de Saint-Germain prie Thérèse pendant deux neuvaines, à lissue desquelles son état saméliore. Deux médecins confirment la guérison29.

Thérèse est béatifiée le 29 avril 1923D 130.

Les faits remarquables survenus après la béatification ne manquent pas, et lon en choisit deux : le cas dune jeune Belge, Mlle Maria Pellemans, souffrant dune tuberculose pulmonaire et intestinale avancée, et miraculeusement guérie sur la tombe de Thérèse. Lautre cas est celui dune italienne, sœur Gabrielle Trimusi, quune arthrite du genou et une tuberculose des vertèbres obligent à porter un corset ; elle est brusquement soulagée de ses infirmités et quitte son corset après un triduum célébré en lhonneur de Thérèse. Le décret dapprobation des miracles est publié en mars 192529.

Thérèse de Lisieux est canonisée le 17 mai 1925, en présence de cinq cent mille personnes, par Pie XI qui lappelle « létoile de son pontificat »D 130. Lors de la canonisation, Pie XI affirmera de Thérèse de Lisieux :

« LEsprit de vérité lui ouvrit et lui fit connaître ce quil a coutume de cacher aux sages et aux savants pour le révéler aux tout-petits. Ainsi, selon le témoignage de notre prédécesseur immédiat, elle a possédé une telle science des réalités den-haut quelle peut montrer aux âmes une voie sûre pour le salut »30.

Le 30 septembre 1925, pour la première fois, lEglise universelle célèbre « sainte Thérèse de lEnfant Jésus et de la sainte Face », plus communément appelée « sainte Thérèse de Lisieux ». À cette occasion, le pape Pie XI offre à la sainte la Rose dor qui, traditionnellement, honore les chefs détats ou leur épouse. Cest la première fois également que ce présent pontifical est offert à une personne décédée.

Thérèse de Lisieux est proclamée sainte patronne des Missions en 1927, puis sainte patronne secondaire de la France en 1944 par Pie XII.

Linfluence de la nouvelle sainte ne se limite pas à son pays natal. En 1931, une jeune Albanaise prononce ses vœux en Inde, en se plaçant sous le patronage de sainte Thérèse de Lisieux. À la différence de sa patronne, mère Teresa aura une longue vie, mais une vie de missionnaire au service des plus petits que naurait pas reniée Thérèse31.

La spiritualité thérésienne dépasse également les limites de lOrdre du Carmel. En 1933 sont fondées les « Oblates de Sainte-Thérèse » et, en 1944, une congrégation dhommes : les « Missionnaires de Sainte-Thérèse ». Le cardinal Suhard, fondateur en 1941 de la Mission de France, entend réaliser « une partie de la mission de la sainte ». Le séminaire de la Mission de France sinstalle à Lisieux en octobre 1942D 131.

Sil ne nomme pas expressément Thérèse, le concile Vatican II, qui se tient entre 1962 et 1965, est dans la droite ligne de ses intuitions. Il prône ainsi le retour à la parole de Dieu ; il met en avant la pratique de la foi, de lamour et de lespérance dans la vie quotidienne ; il appelle chaque baptisé à la saintetéD 132.

En 1980 Jean-Paul II, lors de sa visite en France, décide de venir à la basilique de Lisieux32.

Le 19 octobre 1997, année du centenaire de sa mort, sainte Thérèse est proclamée Docteur de lÉglise par Jean-Paul II33. Dans sa lettre apostolique Divini amoris scientia30, ce dernier explique :

« Dans les écrits de Thérèse de Lisieux, sans doute ne trouvons-nous pas, comme chez d’autres docteurs, une présentation scientifiquement organisée des choses de Dieu, mais nous pouvons y découvrir un témoignage éclairé de la foi qui, en accueillant d’un amour confiant la condescendance miséricordieuse de Dieu et le salut dans le Christ, révèle le mystère et la sainteté de l’Église. »

Âgée de vingt-quatre ans lors de son décès, elle est la plus jeune des trente-trois docteurs de lÉglise.

Les parents de sainte Thérèse, Louis et Zélie Martin, ont été béatifiés le 19 octobre 2008 à Lisieux.

Dans la liturgie

Dans la liturgie catholique, Thérèse de lEnfant-Jésus est fêtée le 1er octobre. Cest une fête inscrite au calendrier universel de lEglise. Elle a rang de « mémoire obligatoire »34,35 (un degré de célébration liturgique souvent associé aux saints).

La prière propre à la messe célébrée en sa mémoire, est la suivante : « Dieu, qui ouvres ton Royaume aux petits et aux humbles, donne-nous de marcher avec confiance sur les pas de sainte Thérèse de lEnfant-Jésus, pour obtenir ainsi la révélation de ta gloire. »

Les passages de la Bible lus lors de leucharistie ont été choisis en fonction de sa spiritualité. Ils évoquent essentiellement l« esprit denfance spirituelle » que Thérèse a développé dans sa vie et ses écrits. La première lecture est tirée du Livre dIsaïe (ch. 66, 10-14). Ces versets sont ceux qui lont aidée, fin 1894, à trouver la spiritualité de la « petite voie », dont elle témoignera ensuite : « [...] Vous serez comme des nourrissons que lon porte sur son bras, que lon caresse sur ses genoux. De même quune mère console son enfant, moi-même, je vous consolerai, dans Jérusalem, vous serez consolés [...] ». Une lecture alternative est Romains 8, 14-17 : « [...] LEsprit que vous avez reçu ne fait pas de vous des esclaves, des gens qui ont encore peur ; cest un Esprit qui fait de vous des fils ; poussés par cet Esprit, nous crions vers le Père en lappelant : « Abba ! » [...] ». Cette lecture est suivie du Psaume 130 (129) « [...] mais je tiens mon âme égale et silencieuse ; mon âme est en moi comme un enfant, comme un petit enfant contre sa mère [...] ».

Lévangile fait aussi référence à lenfance et à lhumilité : « [...] celui qui se fera petit comme cet enfant, cest celui-là qui est le plus grand dans le royaume des cieux » (Matthieu 18, 1-4)36,37.

Dautres textes liturgiques propres sont également proposés dans le sanctoral (Is 66,10-14 ; Ps 103,1-18 ; 1 Jn 4,7-16 ; Mt 11,25-30)37.

Les reliques de sainte Thérèse

Vénération des reliques de sainte Thérèse en Allemagne

La tombe de sœur Thérèse est très vite lobjet de dévotion38. Des pèlerins venus de France et dailleurs accourent pour se recueillir, emportant même des fleurs ou la terre du cimetièreD 133.

Le 6 septembre 1910, on exhume la dépouille de Thérèse, puis on la transfère dans un autre caveau. Une seconde exhumation a lieu le 10 août 1917. Cette fois, deux médecins experts identifient les ossements, quon dépose dans un coffret de chêne sculpté, contenu lui-même dans un cercueil de palissandre doublé de plomb. Enfin, le 26 mars 1923, les restes de la future bienheureuse, désormais considérés comme des reliques, sont transférés en grande pompe vers la chapelle du carmel de Lisieux. Ils sont placés dans deux coffrets, lun en argent et lautre en bois de rose, tous deux conservés dans une châsse. Pour fêter la béatification, le reliquaire est porté en procession dans Lisieux, suivi dun cortège de trente prélats, huit cents prêtres et plusieurs dizaines de milliers de personnes29.

La dévotion à Thérèse de Lisieux samplifie lorsquelle est canonisée en 1925.

Après la Seconde Guerre mondiale, ses reliques font le tour des grandes villes de France. Lannée du cinquantenaire de sa mort, en 1947, elles sont vénérées au Parc des princes, à Paris39. En 1994, en préparation du centième anniversaire de sa mort, les reliques de sainte Thérèse voyagent à nouveau en France. À partir du 14 octobre, elles sont présentes dans la basilique de Fourvière, à Lyon. Des célébrations sont ensuite organisées à Marseille et à Paris39. Suite au succès populaire de ces voyages, les reliques sont accueillies, les mois et les années suivantes, dans de nombreux diocèses de France, puis dans dautres pays.

Thérèse avait souhaité « annoncer lÉvangile dans les cinq parties du monde et jusque dans les îles les plus reculées »E 37. Son vœu est en voie daccomplissement, puisquensuite la châsse, dite « Châsse du Brésil », « Châsse du Centenaire » ou le grand reliquaire, offert par les diocèses du Brésil40, voyage à travers le monde entier, parcourant, après la France, la Belgique, lItalie, lAllemagne, le Brésil, la Suisse, lAutriche, la Slovénie, les États-Unis, lArgentine, le Kazakhstan, la Russie, les Pays-Bas, Hong Kong, les Philippines, le Canada, la Bosnie, lIrlande, le Mexique, lIrak, le Liban, lAustralie, lEspagne, Malte, Madagascar, la Colombie, le Gabon, le Bénin, le Portugal, la Nouvelle-Zélande, les Seychelles, la Pologne, le Burkina Faso, Guam, la Hongrie, lEstonie, la Lettonie, la Lituanie, le Cameroun, le Sénégal, lÉquateur, la Jordanie, lAngleterre, lIrlande, la Guyane, lUkraine, lAfrique du Sud et Israël41.

Monuments dédiés à Thérèse de Lisieux

Statue traditionnelle de Thérèse de Lisieux en habit de carmélite portant un crucifix et quelques roses

Dans le monde, 1 700 églises sont dédiées à Thérèse de LisieuxD 114. De nombreuses écoles catholiques et chapelles portent également son nom.

Sa déclaration comme patronne secondaire en fait lune des saintes les plus vénérées en France : la plupart des églises de France possèdent une statue de Thérèse de Lisieux. Elle est représentée avec son habit de carmélite, tenant dans ses mains une croix entourée de roses.

En 1923, le père Daniel Brottier, qui vient dêtre nommé directeur de lœuvre des Orphelins Apprentis dAuteuil, décide la construction dune chapelle dédiée à la « Bienheureuse Thérèse de lEnfant Jésus ». Le Bienheureux Daniel Brottier est convaincu davoir été protégé par elle pendant la Grande Guerre et quelle la gardé pour quil soccupe de ses enfants dAuteuil. Sa conviction est renforcée quand il apprend que Thérèse priait déjà pour les enfants dAuteuil avant sa mort. Elle sera la « petite maman des enfants dAuteuil ».

La chapelle est terminée en un temps record et la messe y est célébrée dès 1925. Cest le premier sanctuaire en France créé et dédié à sainte ThérèseNote 8. La Fondation dAuteuil42 qui abrite des reliques de sainte Thérèse, est ouverte toute lannée au public.

En 1929, à la suite de la béatification et de la canonisation de Thérèse de Lisieux, et afin de pouvoir mieux accueillir les pèlerins venant sur sa tombe, lévêque de Bayeux décide la construction de la basilique Sainte-Thérèse de Lisieux, appuyé en cela par le pape Pie XI.

Les travaux sont commencés le 30 septembre 1929 avec la pose de la première pierre par le cardinal Charost, légat du pape. Ils sont supervisés par trois architectes de père en fils, les Cordonnier – Louis-Marie, mort en 1940, puis son fils Louis-Stanislas et son petit-fils Louis. Les travaux continuent au ralenti entre 1939 et 1944 à cause de la Seconde Guerre mondiale. Ce nest quaprès la guerre que le monument est terminé ; le culte y est célébré à la fête de lAscension en 1951.

Son style composite (dit romano-byzantin) est fortement inspiré de celui de la basilique du Sacré-Cœur à Paris43.

  • Basilique de Choubrah (au Caire)

En 1926, des frères carmes sinstallent dans le quartier de Choubrah, dans la ville du Caire. Frappés par la grâce dintercession de Thérèse de Lisieux, ils décident de lui dédier la petite chapelle quils vont construire. Les gens y viennent nombreux, au point quil faut bientôt songer à lagrandir et ériger une église. Les travaux commencent en 1931, grâce aux dons faits par la population égyptienne. Lédifice est inauguré en 1932 et lensemble terminé en 1942. Laffluence y est importante, le sanctuaire étant connu et fréquenté par des personnes de différentes religionsF 28, 44, 45.

Œuvres inspirées par Thérèse

Au cinéma

Au théâtre

  • Thérèse de Lisieux : pièce écrite par Jean Favre ; jouée de décembre 1994 à février 1995 au Théâtre du Tourtour (Paris), puis en tournée au Luxembourg et en Belgique ; avec Corine Lechat et Anne Vassalo dans les rôles principaux47.

En musique

  • Le carme et musicien Pierre Eliane a édité quatre disques sur les poésies de Thérèse : Thérèse Songs – trois disques, de 1992 à 1994 – et Sainte Thérèse de Lisieux - poésies (1997). Les textes dorigine sont chantés intégralement sur des mélodies composées par Pierre Eliane.

En littérature

  • Dans La Légende du saint buveur, Joseph Roth fait mention de Thérèse de Lisieux, laquelle permet au croyant mystérieux du début de trouver la foi. Thérèse tient une place particulière dans le livre, puisquelle est citée dans le premier et dans le dernier chapitre.

Doctrine spirituelle de sainte Thérèse

La théologie de Thérèse de Lisieux est issue en grande partie de sa vie et de son autobiographie dans laquelle elle développe une vision de la foi qui a fait école.

Lappel universel à la sainteté

Fra Angelico : Les précurseurs du Christ avec les saints et les martyrs, 1423-1424

La théologie de Thérèse est avant tout une pédagogie de la sainteté48. Son enseignement est un encouragement à rechercher la sainteté, y compris pour les chrétiens qui doutent de leur capacité à répondre à cet appel48.

À lépoque de Thérèse, marquée par lhéritage janséniste, beaucoup pensaient que la sainteté était réservée à quelques âmes délite, vivant des phénomènes mystiques impressionnants, ou réalisant de grandes choses24. Bien que nayant rien fait dextraordinaire, Thérèse a pourtant pensé avec constance quelle pouvait devenir sainteF 29. Ainsi, vers lâge de neuf ans, lisant la vie de Jeanne dArc, elle a lintuition quelle peut aussi « devenir une grande sainte !!!… »E 47. Au carmel, en 1890, un prédicateur est choqué quand elle lui dit son espoir de devenir une grande sainte et davoir pour Dieu le même amour que celui quavait Thérèse dAvilaD 134. À la fin de sa vie, elle écrira à mère Marie de Gonzague : « Vous le savez, ma Mère, j’ai toujours désiré être une sainte. »E 48

Elle veut dabord arriver à la sainteté dune façon assez volontariste49. Ainsi, à lâge de seize ans, elle écrit à Céline, citant le père Pichon : « La sainteté ! Il faut la conquérir à la pointe de lépée, il faut souffrir... »E 49

Ensuite, et de plus en plus à partir de 1893-1894, elle confie sa petitesse à Dieu et linvite à agir en elle49. En 1895, elle écrit : « [...] je sens toujours la même confiance audacieuse de devenir une grande Sainte, car je ne compte pas sur mes mérites, nen ayant aucun, mais jespère en Celui qui est la Vertu, la Sainteté Même, cest Lui seul qui, se contentant de mes faibles efforts, mélèvera jusquà Lui et, me couvrant de ses mérites infinis, me fera Sainte »E 50.

Thérèse a ainsi montré, par sa vie et ses écrits, que la sainteté était accessible à tous. Un autre docteur de lÉglise avait eu, trois siècles plus tôt, une intuition aussi forte : François de Sales (1567-1622)24. Il avait encouragé les chrétiens vivant dans le monde à progresser spirituellement, dune façon propre à leur état de vie, qui est différent de celui des moines et des moniales50, 51. Cette idée qua Thérèse dune sainteté discrète, sans grands éclats, sappuyant sur la confiance en Dieu, est adaptée à tous les baptisés. Cest aussi une anticipation du concile Vatican II48, 24. La Constitution dogmatique sur l’Église (Lumen gentium) du concile souligne en effet que tous les chrétiens sont appelés à la sainteté24.

Signe que la conception de la sainteté de Thérèse était en avance sur son temps, plusieurs de ses proches ne comprennent pas, dans les années qui suivent sa mort, que lon pense à elle pour un procès en béatification. Des carmélites, des habitants de Lisieux, des membres de sa propre famille ne trouvent rien dexceptionnel dans sa vie pour justifier ce projet. À un jeune prêtre qui évoque la canonisation de sœur Thérèse en 1903, mère Marie de Gonzague répond en riant : « dans ce cas, combien de carmélites faudrait-il canoniser ? »F 30, D 129.

La petite voie

Sappuyer sur Dieu avec confiance

Image de bréviaire confectionnée par Thérèse

Durant les trois dernières années de sa vie, Thérèse de Lisieux expérimente quotidiennement « la petite voie ». Elle na écrit, telle quelle, lexpression quune seule fois, dans le manuscrit C, en 1897E 51. Mais elle y fait souvent référence, lorsquelle parle aux novices, ou en sadressant à ses frères spirituelsF 29. Elle a conscience que cette petite doctrine est ce quelle peut transmettre de mieux, de son vivant, et après sa mort52, E 52, 53.

La « petite voie » consiste, pour Thérèse, à reconnaître sa petitesse, son néant, et à sappuyer alors avec confiance sur Dieu. Elle naît du désir de la sainteté, et de lincapacité quil y a, à accomplir, par ses propres forces, ce désir.

Thérèse na pas ménagé ses efforts pour devenir sainte. Elle a cherché à vivre parfaitement la vocation qui était la sienne, multipliant les actes dobéissance, de charité, de fidélité. Mais ayant en même temps un grand souci de la vérité, elle voit ses défauts, ses manques de générosité, son incapacité à « monter le rude escalier de la perfection »E 53. Elle qui aurait voulu aimer Dieu avec la même ardeur que Thérèse dAvila réalise quelle est bien faible et petite. Elle passe par lacceptation de ses limites. Mais sans se décourager pour autant49. Car elle a compris que cette faiblesse, cette petitesse, pouvaient attirer la grâce de Dieu. Cest une intuition prophétique qui lui fait écrire : « je veux chercher le moyen daller au ciel par une petite voie bien droite, bien courte, une petite voie toute nouvelle ». Dans le Livre des Proverbes, elle lit « Si quelquun est tout petit, quil vienne à moi. » Ce nest pas en grandissant, mais au contraire en restant petite, quelle sapprochera de Dieu en lobligeant à sabaisser vers son néant54. Elle écrit : « lascenseur qui doit mélever au ciel, ce sont vos bras, ô Jésus ! Pour cela, je nai pas besoin de grandir, au contraire, il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. »E 54

Une voie de lenfance spirituelle

La petite voie est aussi parfois appelée voie denfance spirituelleF 29. Thérèse fait en effet souvent référence aux enfants qui, tout en étant petits, peuvent manifester une grande confiance envers leurs pèresF 31, Note 9. Elle comprend que, pour aimer et sunir à Dieu en vérité, « il sagit dabord de se laisser rejoindre par Lui, aimer et façonner par lui. Son amour est gratuit, celui dun père pour ses enfants. Cest toujours lui qui nous aime le premier. » (Pierre Descouvemont)F 29

Ainsi, dans cette spiritualité, grandir en sainteté, cest dabord grandir, par laction de lEsprit Saint, dans la confiance filiale qui voit en Dieu un père aimant49. Jean-Paul II, lors de son passage à Lisieux en 1980, dira à ce propos : « La "petite voie" est la voie de la "sainte enfance". Dans cette voie, il y a quelque chose d’unique [...]. Il y a en même temps la confirmation et le renouvellement de la vérité la plus fondamentale et la plus universelle. Quelle vérité du message évangélique est en effet plus fondamentale et plus universelle que celle-ci : Dieu est notre Père et nous sommes ses enfants ? »2

Progresser sans cesse

Le fait de reconnaître sa petitesse ne signifie pas cependant, pour Thérèse, quil faut cesser de faire des effortsF 29, F 31. Sentretenant au carmel avec une de ses novices, sœur Marie de la Trinité, elle distingue bien cette voie du quiétismeNote 10. Jusquau bout, elle fera des sacrifices pour le salut des âmes. Le 8 août 1897, elle confie à mère Agnès : « Bien des âmes disent : Mais je nai pas la force daccomplir tel sacrifice. Quelles fassent donc ce que jai fait : un grand effort. Le bon Dieu ne refuse jamais cette première grâce qui donne le courage dagir. »E 55 Et, jusquà sa mort, elle cherchera à aimer, concrètement et quotidiennement, ses sœurs carmélites. Mais ce sera, selon la voie dont elle témoigne, en union avec Dieu qui supplée à ses faiblesses. Cet accueil de la présence de Dieu, quelle veut vivre à travers cette petite voie, va lamener à approfondir le sens de la charité, et sa confiance en la miséricordeF 32, 49.

La charité

Aimer Dieu

Thérèse a été appelée, après sa mort, « Docteur de lamour ». Cest en effet en pratiquant la charité, et en lenseignant dans ses écrits quelle a le plus touché les cœurs48.

Lamour de Thérèse se porte avant tout sur la personne du Christ. Dès sa petite enfance, portée par une ambiance familiale très chrétienne, elle cherche à lui « faire plaisir » par ses actions, son sens de la vérité, sa fidélité à la prière du soirD 135. Cet amour pour le Christ, cette conviction et cette conscience quelle a de vivre en sa présence se maintiendront toute sa vie. Elle décrit ainsi sa première communion, faite à lâge de neuf ans : « [...] je me sentais aimée, et je disais aussi : "Je vous aime, je me donne à vous pour toujours". »E 11 Le nom de Jésus est présent à pratiquement chaque page de ses écrits. Il est cité environ mille six cents fois48. À la fin de sa vie, lorsquelle vit lépreuve de la nuit de la foi, elle grave ces mots sur la cloison de sa cellule : « Jésus est mon unique amour. »48 Et ses derniers mots seront pour Dieu, à qui elle dit son amour avant de mourir48.

Cet amour est vécu de façon privilégiée dans sa vocation de carmélite, qui fait delle, selon le vocabulaire symbolique propre aux religieuses, « lépouse du Christ »48,F 33. Comme lindique son nom de carmélite (Thérèse de « lEnfant-Jésus et de la Sainte-Face »), elle médite plus particulièrement sur le mystère de lincarnation et de labaissement du ChristF 34. Elle va surtout témoigner dun Dieu « qui sest fait tout petit par amour »48.

Même si elle cite moins le Père et lEsprit Saint que le Christ, sa conception de lamour de Dieu est profondément trinitaire48. Comme en témoigne ce verset de sa poésie Vivre damour48 : « Ah ! tu le sais, Divin Jésus, je taime. LEsprit damour membrase de son feu. Cest en taimant que jattire le Père. »E 56

Selon François-Marie Léthel : « lenseignement de Thérèse est entièrement illuminé par lAmour : en Jésus, Thérèse contemple lAmour infini dont Dieu nous aime, amour miséricordieux et sauveur, amour fou du créateur pour sa pauvre créature blessée par le péché [...] »48. Pour Thérèse, il sagit alors de rendre amour pour amourE 57, daimer Dieu en retour, et daimer ses proches et ceux pour qui elle prie en témoignant de lamour de Dieu48.

Unie à lamour

À partir de 1894, avec la découverte de la petite voie de confiance et d’amour, Thérèse réalise de plus en plus combien la charité est au centre de sa vie spirituelle. Ayant compris qu’elle ne pourra aimer vraiment qu’en union avec Dieu, elle s’offre, le 11 juin 1895, comme « victime à l’amour miséricordieux », « afin de vivre dans un acte de parfait amour ». Elle veut renouveler cette offrande à chaque instant, un nombre infini de foisD 136. Un tel programme nest possible que si Dieu répond à son offrande. Quelques jours plus tard, elle est prise dun amour si fort pour Dieu, quelle se croit plongée dans un feu. Cest pour elle le signe que Dieu a répondu à sa prièreD 136, F 35.

Elle franchit une nouvelle étape en septembre 1896. Thérèse éprouve des désirs qui lui semblent fous : elle veut être à la fois missionnaire, apôtre, martyr, prêtre, docteur de lÉgliseE 37. De plus, elle veut vivre pleinement chacune de ces vocations, depuis la création du monde jusquà la fin des temps. Elle ouvre alors sa Bible et parcourt le chapitre 12 de la Première épître aux Corinthiens de saint Paul. Paul y compare lÉglise à un corps où chaque membre a une place bien définie. Voilà qui lui apporte une réponse et devrait refroidir ses désirs. Mais elle poursuit et lit lHymne à la charité, au chapitre 13. Elle réalise soudain que lamour est au cœur de lÉglise : « Je compris que lamour seul faisait agir les membres de lÉglise, que si lAmour venait à séteindre, les Apôtres nannonceraient plus lÉvangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang... Je compris que lAmour renfermait toutes les vocations, que lAmour était tout, quil embrassait tous les temps et tous les lieux... en un mot quil est Éternel. »E 38 Elle comprend alors que sa vocation, cest lAmourE 38.

Le mystère quelle approfondit là est celui de la communion des saints48. Plus elle aimera, là où elle se trouve, et plus elle participera à la vie de lÉglise et soutiendra les différentes vocations sur la terre. Elle ne manque pas de faire alors le lien avec sa petitesse et son acte doffrande à lamour miséricordieux, suppliant, encore et encore, Jésus de lui donner « son Amour »E 58. Elle écrit, en 1897, lannée de sa mort : « Voici ma prière : je demande à Jésus de mattirer dans les flammes de son amour, de munir si étroitement à Lui quil vive et agisse en moi [...] »E 59, 48.

Ce mouvement daccueil, dans sa petitesse, de lamour de Dieu, va la conduire à aimer encore plus ses sœurs carmélites48.

La charité fraternelle

En entrant au Carmel, Thérèse a lu la règle et les constitutions de l’ordre. Elle a noté l’importance de la délicatesse fraternelle, qu’elle va s’appliquer à vivreF 36. Lamour quelle a pour les autres religieuses nest pas éthéré. Il se manifeste au contraire par un grand nombre dattentions très concrètes. Cest aussi par amour pour les âmes quelle prie pour elles et fait quotidiennement de petits sacrifices.

Thérèse considère que la charité ne peut exister que lorsquelle est détachée de tout égoïsme et de tout amour propre. Depuis sa conversion de Noël 1886, elle a découvert la joie dans loubli delle-même : « Je sentis, en un mot, la charité entrer dans mon cœur, le besoin de moublier pour faire plaisir, et depuis lors je fus heureuse. »E 15 Elle affirme qu« on ne peut faire aucun bien en se recherchant soi-même »E 60. De cette conception découle une vraie exigence : elle décèle ses moindres fautes pour pouvoir lutter contre elles et, surtout, laisser la place à davantage dattention et de générosité49.

Mais cest à la fin de sa vie quelle réalise à quel point lamour quelle a pour Dieu est étroitement lié à celui quelle doit avoir pour les autres. Se confiant en 1897 à mère Marie de Gonzague, elle écrit que Dieu lui a fait la grâce cette année de laider à comprendre ce quest la charité : « Je mappliquais surtout à aimer Dieu et cest en laimant que jai compris quil ne fallait pas que mon amour se traduise seulement par des paroles. »E 61 Elle médite sur les commandements de lamour, présents dans lévangile, et surtout sur la parole dite par le Christ : « Aimez vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » (Jean, ch.13 34-35)E 61 Elle réalise que sa charité envers ses sœurs est encore imparfaite et décide de les aimer comme le « bon Dieu » les aimeE 61. Cest aussi un aboutissement de son offrande à lamour miséricordieux et de son désir de se faire toute petite pour que Jésus puisse agir en elle : « Oui je le sens lorsque je suis charitable, cest Jésus seul qui agit en moi ; plus je suis unie à Lui, plus aussi jaime toutes mes sœurs. »E 62

Ainsi, elle développe une profonde indulgence envers les actes des autres : « Ah, je comprends maintenant que la charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point sétonner de leurs faiblesses, à sédifier des plus petits actes de vertus quon leur voit pratiquer... »E 62 Elle sefforce même dexcuser les coupables ou de leur prêter de bonnes intentionsE 62.

Un jour, alors quelle sapprête à rendre un service, elle observe quune religieuse a la même intention, et elle retient son geste pour lui en laisser le bénéfice. Mais on prend son acte pour de la paresseE 62. Elle médite cette déconvenue : « [...] Je ne saurais dire combien une aussi petite chose me fit de bien à lâme et me rendit indulgente pour les faiblesses des autres. »E 62 Elle découvre combien il est difficile de comprendre les intentions de quelquun : « Puisquon prend mes petits actes de vertu pour des imperfections, on peut tout aussi bien se tromper en prenant pour vertu ce qui nest quimperfection. »E 62 Lorsquune sœur ne lui plaît pas, elle essaie dêtre particulièrement aimable avec elleE 63.

Confiance dans la miséricorde

La conscience accrue de la miséricorde de Dieu est un aspect essentiel de la petite voie, découverte fin 1894, par Thérèse. À peine a t-elle réalisé quen restant petite elle peut devenir sainte, quelle sécrie : « O mon Dieu, vous avez dépassé mon attente et moi je veux chanter vos miséricordes. »E 31 Elle a compris que la miséricorde de Dieu est particulièrement grande pour ceux qui se savent faibles, imparfaits et qui comptent sur lui49. Ce mot « miséricorde », qui était jusqualors assez rare dans ses écrits, vient maintenant au premier plan49. Ainsi, cest encore pour « chanter les miséricordes du seigneur » quelle accepte décrire, en 1895, ses souvenirs denfance, dans ce qui sera connu ensuite comme le manuscrit AE 64, 49. Et dans lacte doffrande quelle fait en juin de la même année, elle associe cet amour miséricordieux à « des flots de tendresse infinie »E 34.

La miséricorde ne se résume donc pas, pour elle, au pardon de Dieu, même si cette dimension est importante. Elle a aussi trait à la douceur et à la tendresse de Dieu qui se penche sur les plus petits49. Dans lAncien Testament, le mot hébreu Rahamim (רחמים) désigne dabord le sein maternel, puis la tendresse qui en est issue, tendresse miséricordieuse. Ce mot évoque la tendresse maternelle de Dieu pour son peuple et ses enfants, pour les petits et les pauvres55. La découverte par Thérèse de la petite voie sinspire dailleurs dun passage du Livre dIsaïe (ch 66, 12-13), sur lamour de Dieu pour son peuple, comparable à celui dune mère pour ses enfantsE 31.

Si la petite voie ouvre, par une plus grande union à Dieu, sur une charité plus parfaite, lhomme demeure pourtant imparfait et peut encore tomber dans le péché56. Mais, dans ce cas, il peut recourir, avec confiance, au pardon de Dieu qui le relève56. Sur ce point, Thérèse est particulièrement prolixe56. Elle dit, sinspirant, comme souvent, des enfants : « Être petit ... cest ne point se décourager de ses fautes, car les enfants tombent souvent, mais ils sont trop petits pour se faire beaucoup de mal. »E 65 Elle qui a longtemps souffert des scrupules rassure maintenant labbé Bellière, qui sinquiète de ses fautes passées56. En juin 1897, Thérèse lui écrit : « Le souvenir de mes fautes mhumilie, me porte à ne jamais mappuyer sur ma force qui nest que faiblesse, mais plus encore ce souvenir me parle de miséricorde et damour. Comment, lorsquon jette ses fautes avec une confiance toute filiale dans le brasier dévorant de lamour, comment ne seraient-elles pas consumées sans retour ? »E 66

Ce sens de la miséricorde est crucial dans les derniers mois de sa vie, quand elle passe par lépreuve de la « nuit de la foi ». Durant cette période, elle est assaillie de telles tentations quelle comprend mieux ce que vivent les plus grands pécheursD 137. Pourtant, elle ne cesse de croire en la miséricorde infinie de Dieu pour celui qui revient vers LuiF 37. Elle va jusquà dire, en juillet 1897, à sa sœur Pauline : « Dites bien, ma Mère, que si javais commis tous les crimes possibles, jaurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude doffenses serait comme une goutte deau jetée dans un brasier ardent. »E 67

Sa dernière lettre, à labbé Bellière, en août 1897, se termine par ces mots : « Je ne puis craindre un Dieu qui sest fait pour moi si petit... Je laime !... Car il nest quamour et miséricorde ! »E 68

Compléments

Articles connexes

Liens externes

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Bibliographie

  • 1926 : Lucie Delarue-Mardrus, Sainte Thérèse de Lisieux, Paris, Eugène Fasquelle. 160 p.
  • 1930 : Antonin Eymieu, Thérèse de Lisieux : la petite voie, la voie héroïque, la voie royale, la voie triomphale, Ed. Publiroc
  • 1934 : Henri Ghéon, Sainte Thérèse de Lisieux, Paris, Flammarion. 235 p.
  • 1939 : Jean Missol, Sainte Thérèse de Lisieux. Son cœur, sa croix, sa mission, Paris, Desclée De Brouwer. 83 p.
  • 1947 : Maxence Van der Meersch, La Petite sainte Thérèse, Paris, Albin Michel, 1947
  • 1949 : Fernand Laudet, Sainte Thérèse de Lisieux, Tours, Mame, 257 p.
  • 1950 : Paul Claudel, Sainte Thérèse de Lisieux vous parle, Lisieux, Abbaye Notre-Dame-du-Pré, 21 p.
  • 1950 : Collectif : « La petite sainte Thérèse » de Van der Meersch devant la critique et devant les textes, Ed. Saint-Paul, 1950, 562 p.
  • 1953 : Louis Chaigne, Sainte Thérèse de Lisieux, Paris, Arthème Fayard, collection « Le Livre chrétien », no 8, 128 p.
  • 1954 : André Combes, Sainte Thérèse de Lisieux et sa mission, les grandes lois de la spiritualité thérésienne, Éditions universitaires, 267 p.
  • 1961 : Père François de Sainte-Marie (Carme), Manuscrits autobiographiques et de visage de Thérèse de Lisieux, Office Central de Lisieux
  • 1963 : Joseph Courtès (sulpicien), La Voie de Thérèse de Lisieux, Paris, Fleurus, 95 p.
  • 1968 : Abbé Hippolyte Honoré, Le Message d’une femme, Thérèse de Lisieux, Mulhouse, Éditions Salvator ; Éditions Casterman, 132 p.
  • 1968 : Abbé Jean Lafrance,Thérèse de Lisieux et sa mission pastorale, essai de pédagogie thérésienne, Éditions Desclée De Brouwer, 295 p.
  • 1971 : René Laurentin, Thérèse de Lisieux : Mythes et réalité
  • 1972 : Guy Gaucher, La Passion de Thérèse de Lisieux : 4 avril-30 septembre 1897, Éditions du Cerf ; Éditions Desclée De Brouwer, 251 p.
  • 1972 : Gabriel Arminjon, Charles Arminjon : ... ce prêtre qui inspira Thérèse de Lisieux, Éditions Beauchesne, Coll. « Figures dhier et daujourdhui », 228 p.
  • 1972 : Jean-François Six, La véritable enfance de Thérèse de Lisieux, Paris, Le Seuil, 275 p.
  • 1974 : Émile Rideau, Thérèse de Lisieux, la nature et la grâce, Fayard, 376 p. Prix Juteau-Duvigneaux
  • 1982 : Joseph Courtès, « La Vie de Thérèse de Lisieux », dans les Annales de sainte Thérèse de Lisieux, no 602, mai 1982, 25 p.
  • 1982 : Guy Gaucher, Histoire dune vie Thérèse Martin, Paris, Le Cerf, Coll. « Foi Vivante », 268 p.
  • 1991 : Pierre Descouvemont et Helmuth Nils Loose, Thérèse et Lisieux, Éditions du Cerf, 1991 (Biographie et recueil dillustrations sur la vie quotidienne de Thérèse de Lisieux)
  • 1992 : Œuvres complètes, Thérèse de Lisieux, Éditions critiques réalisée sous la direction de Jacques Lonchampt, avec le concours de Mgr Guy Gaucher, Éditions du Cerf et Desclée De Brouwer, 1992
  • 1995 : Jean Guitton, Le Génie de Thérèse de Lisieux, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 157 p.
  • 1995 : Jean-François Six, Lumière de la nuit : les dix-huit derniers mois de Thérèse de Lisieux, Paris, Le Seuil, 268 p.
  • 1996 : Pierre Mabille, Thérèse de Lisieux, Paris, Allia, 112 p.
  • 1996 : Fernand Ouellette, Je serai lAmour : trajets avec Thérèse de Lisieux, Montréal, Fides, 430 p.
  • 1996 : Jean Chalon, Thérèse de Lisieux, une vie damour, Paris, Cerf/Flammarion, 295 p.
  • 1996 : René Lejeune, La petite voie de sainte Thérèse. Spiritualité et neuvaine, Hauteville/Suisse, Editions du Parvis, 80 p.
  • 1997 : Jean-François Six, Vie de Thérèse de Lisieux, Seuil, 02/1997
  • 1997 : Rémi Mauger, Bernard Gouley, Emmanuelle Chevalier, Thérèse de Lisieux, ou La Grande Saga dune Petite Sœur 1897-1997, Éditions Fayard, 300 p.
  • 1997 : Jean-François Six Thérèse de Lisieux par elle-même – tous ses écrits de janvier 1895 à Pâques 1896, Thérèse de l’Enfant Jésus, Grasset, 09/1997
  • 1998 : Maurice Bellet, Thérèse et lIllusion, Paris, Desclée De Brouwer, 111 p.
  • 1998 : Jean-François Six, Thérèse de Lisieux, son combat spirituel, sa voie, Paris, Le Seuil, 439 p. (ISBN 2-02-034847-0)
  • 2000 : Guy Lehideux (textes) et Charlie Kieffer (dessins), Sainte Thérèse de Lisieux, Étampes, Clovis, coll. « Chemins de lumière ». 38 p. bande dessinée.
  • 2001 : Pierre-Jean Thomas-Lamotte, Guérir avec Thérèse, Paris, Téqui, 232 pages.
  • 2002 : Claude Langlois, Le désir de sacerdoce chez Thérèse de Lisieux ; suivi de Les trois vies de Thérèse au carmel. Paris, Salvator, coll. « Pierres d’angle ». 230 p.
  • 2003 : Jean Clapier, Aimer jusquà mourir damour. Thérèse et le mystère pascal, Paris, Le Cerf, 557 p.
  • 2004 : Jean Clapier, Une voie de confiance et damour. Litinéraire pascal de Thérèse de Lisieux, Paris, Le Cerf, 197 p.
  • 2005 : Conrad De Meester, Histoire dune âme. Nouvelle édition critique, Presses de la Renaissance, Paris, 404 p. (ISBN 2-7509-0079-4)
  • 2006 : Bernard Bonnejean, La Poésie thérésienne. LÉvangile mapprend et mon cœur me révèle, Le Cerf, 293 p.
  • 2007 : Dimitri Merejkovski, Petite Thérèse, LÂge dhomme, 120 p.
  • 2007 : Noëlle Hausman, Thérèse de Lisieux, docteur de l’Église, Paris, Desclée de Brouwer, 300 p.
  • 2007 : Cyrille Misérolle-Velpry, Thérèse Martin, une enfant ordinaire avec une destinée extraordinaire (épuisé)
  • 2008 : Patrick Autréaux, Thérèse de Lisieux. La confiance et labandon. Textes choisis, Le Seuil, coll. « Points ; Voix Spirituelles Sagesses », 95 p.
  • 2010 : Jean Clapier, Thérèse de Lisieux au risque de la psychologie, Paris, Presses de la Renaissance, 200 p.
  • 2010 : Guy Gaucher, Sainte de Thérèse de Lisieux (1873-1897), Le Cerf, 683 p. (ISBN 978-2-204-09270-8)

Notes et références

Notes

  1. Dans cet article, carmel désigne un couvent, tel le carmel de Lisieux, tandis que Carmel désigne lOrdre du Carmel. Par contre, la graphie de Thérèse, qui utilise les majuscules pour écrire Carmel ou Mère par exemple, a été respectée dans les citations
  2. « La nuit de Noël 1886 fut, il est vrai, décisive pour ma vocation, mais, pour la nommer plus clairement, je dois lappeler : la nuit de ma conversion. En cette nuit bénie dont il est écrit quelle éclaire les délices de Dieu même, Jésus qui se faisait enfant par amour pour moi daigna me faire sortir des langes et des imperfections de lenfance. Il me transforma de telle sorte que je ne me reconnaissais plus moi-même. Sans ce changement, jaurais dû rester encore bien des années dans le monde. » (Thérèse de Lisieux, Œuvres complètes, Cerf/DDB 1992, p. 559, Lettre 201, du 1er nov. 1896)
  3. Né en Égypte, il assassine et égorge trois personnes du 19 au 20 mars 1887, rue Montaigne à Paris ; le procès a lieu du 9 au 13 juillet, et il est condamné à mort. Son procès a un retentissement important. Cf Jean-François Six, p. 129 à 134
  4. Il sagit de La Croix du 1er septembre 1887 (cf. Pierre Descouvemont, Thérèse et Lisieux, 1991, Cerf, p. 78) : « Mais avant que ce mouvement se soit produit, peut-être un éclair de repentir a t-il traversé sa conscience. Il a demandé à laumônier son crucifix. Il la deux fois embrassé. » dans La Croix, 1er septembre 1887, n°1298, p. 1 (col.4) et p. 2 (col. 1), Journal en ligne sur gallica.bnf.fr [archive]
  5. Il sagit du manuscrit C dHistoire dune âme
  6. Une circulaire est une lettre envoyée à tous les carmels, qui relate la vie dune religieuse décédée
  7. Il sagit des Derniers entretiens
  8. 40 rue de Jean de la Fontaine, Paris XVIe
  9. Témoignage de mère Agnès : « Je lui demandais [...] ce quelle entendait par "rester petit enfant devant le bon Dieu". Elle me répondit : "Cest reconnaître son néant, attendre tout du bon Dieu, comme un petit enfant attend tout de son père ; cest ne sinquiéter de rien [...]". » Derniers entretiens, Carnet jaune, 6 août 1897, p. 1082
  10. Témoignage de sœur Marie de la Trinité :« J’eus l’occasion d’entendre de sa bouche une explication importante sur ce qu’elle appelait "sa petite voie" d’amour et de confiance. Je lui avais fait part de mon intention d’exposer cette doctrine spirituelle à mes parents et amis. "Oh ! - me dit-elle - faites bien attention en vous expliquant, car notre petite voie mal comprise pourrait être prise pour du quiétisme ou de l’illuminisme". Elle m’expliqua alors ces fausses doctrines, inconnues pour moi. Je me rappelle qu’elle me cita Madame Guyon comme hérétique. "Ne croyez pas - me dit-elle - que suivre [1252] la voie de l’amour, c’est suivre une voie de repos, toute de douceur et de consolations. Ah ! c’est tout le contraire. S’offrir en victime à l’amour, c’est se livrer sans réserve au bon plaisir divin, c’est s’attendre à partager avec Jésus ses humiliations et son calice d’amertume". » (Procès apostolique de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Témoignage de Marie-Louise-Joséphine Castel (sœur Marie de la Trinité), p. 1251-1252)
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